Quatre ans après « Toutânkhamon », la société de John Norman réinvestit la Grande Halle de la Villette pour une exposition théâtrale bien peu scientifique.
Paris. Pas de surprise : depuis « Toutânkhamon, le trésor du pharaon » en 2019 (la Villette) et « Machu Picchu et les trésors du Pérou » en 2022 (Cité de l’architecture et du patrimoine), le public français sait désormais à quoi s’attendre lorsque John Norman arrive avec une exposition clés en main. Le discours scientifique sera minimal, la mise en scène agressivement spectaculaire et le prix du billet d’entrée élevé. La formule marche à San Francisco, New York, Tokyo, et encore plus à Paris. Ces événements planétaires engendrent toujours les mêmes débats au sein de la communauté muséale, qu’il s’agisse de l’intérêt de réduire le contenu d’une exposition pour toucher un plus large public, de l’utilisation d’artifices parfois grossiers pour agrémenter le parcours, ou de l’accueil d’une initiative privée, et très lucrative, au sein d’institutions publiques. Au final, tout le monde semble résigné à l’idée qu’il y a quelque part dans ces grandes tournées l’avenir – sombre pour les uns, rentable pour les autres – de l’exposition en général.
Pourtant, si ce modèle parvient à ses fins, c’est uniquement par son aspect événementiel, qui engendre une communication massive et unanimement reprise dans les médias. S’il fallait trouver un trait commun à ces parcours, une vérité apparaîtrait rapidement : ils ne sont pas agréables à visiter. Malgré un billet d’entrée cher, et les promesses d’une société qui souhaite faire des expositions un spectacle comme les autres, les parcours produits par World Heritage Exhibitions (WHE) et John Norman ne relèvent pas ou peu d’une bonne muséographie.
L’aspect le plus frappant, et celui que tous les visiteurs de « Ramsès et l’or des pharaons » peuvent expérimenter, est la gestion des flux. WHE a pris l’habitude d’introduire à la visite par un film : « Ramsès » n’échappe pas à la règle, avec une projection d’une petite dizaine de minutes qui contextualise d’ailleurs bien le propos de l’exposition, non sans user d’un ton inutilement épique. Le problème se pose à la fin dudit film, qu’une grosse centaine de visiteurs ont été contraints de visionner en même temps : une porte s’ouvre, et un flot de curieux se déverse dans les salles. Embouteillages garantis devant des vitrines présentant de petits objets, quand la première salle de l’exposition, vidée, attend les spectateurs du film. L’entrée façon parc d’attractions est à mille lieues du laissez-passer progressif mis en place dans les expositions les plus courues, et qui limite efficacement les engorgements devant les objets.
Étonnamment, l’autre faiblesse est peut-être le point fort habituellement attendu pour ces expositions : la capacité à raconter une histoire, à créer une progression dans le parcours. À la Grande Halle de la Villette, la narration se limite au film introductif, avant un dispositif multimédia mêlant projection et effet « pepper’s ghost » pour raconter la bataille de Qadesh. La promesse bien « teasée » par le film autour de l’énigme du tombeau de Ramsès II se retrouve très vite diluée sur un plateau dénué de sens de circulation, où les vitrines sont éparpillées. Si l’on débarrasse le parcours de ses atours technologiques et spectaculaires, le découpage est finalement celui d’un musée des antiquités un peu poussiéreux : armée, religion, monuments, dynasties… Quand le visiteur arrive à l’entrée d’un tombeau en carton-pâte, c’est un peu tard pour que la curiosité initiale soit encore en éveil. Le climax du parcours, le sarcophage en cèdre du pharaon, est présenté lui dans une petite salle qui fait office de sas de sortie.
Ancien organisateur de tournées de grandes stars comme Janet Jackson ou David Copperfield, John Norman veut offrir aux objets qu’il expose le même traitement : une mise en scène son et lumière qui théâtralise l’expérience de l’exposition. Mais lui serait-il venu à l’idée de faire monter ces vedettes sur scène sans micro ? C’est l’impression que donne l’éclairage général des artefacts, d’une piètre qualité. Pour trois ou quatre objets en vitrine, une seule source de lumière éclaire le premier, laissant les suivants dans la pénombre. Des plaques de métal au relief peu visible sont à peine illuminées, là où une lumière rasante l’aurait révélé. Les couleurs vives des plaques d’émail sont perdues dans la pénombre du plateau. Des pièces archéologiques d’une très grande valeur, originales et signifiantes, restent ainsi muettes. Enfin, l’usage du multimédia, comme lors de « Toutânkhamon » et « Machu Picchu », n’offre que des redites.
Le constat que partageront de nombreux visiteurs à la fin du parcours est celui d’une expérience plutôt éprouvante, dont ils peuvent tirer une seule satisfaction : celle d’avoir « fait » Ramsès, comme on coche une case. La valeur de ces expositions reposent uniquement sur des campagnes marketing exceptionnelles, telles qu’on en voit une fois par an. Elles bousculent aussi le modèle économique de l’exposition en instituant des prêts payants : le Musée Larco au Pérou pour « Machu Picchu », les musées égyptiens pour « Ramsès » facturent leurs prêts à WHE. « C’est grâce à des expositions de ce genre qui rapportent des millions de dollars à l’Égypte que nous avons pu financer la construction du Grand Egyptian Museum », expliquait ainsi lors de l’inauguration l’égyptologue et commissaire international de l’exposition Zahi Hawass.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°611 du 12 mai 2023, avec le titre suivant : Ramsès à la Villette : un show sans âme