PARIS
Ses fureurs ont fait battre leur cœur. Du préromantisme au réalisme, parcours vivifiant au Musée de la Vie romantique.
Ce n’est pas un hasard si François René de Chateaubriand s’est fait inhumer en 1848 sur un îlot, le Grand Bé à Saint-Malo. Le romantisme, dont il était l’un des précurseurs, est intimement lié à la mer en furie. Le Musée de la Vie romantique s’empare du thème en présentant une soixantaine d’œuvres, picturales mais aussi littéraires, mettant en scène tempêtes et naufrages. Le parcours imaginé par la directrice du musée, Gaëlle Rio, mène le visiteur de la deuxième moitié du XVIIIe à la fin du XIXe siècle. Sans s’appesantir sur les scènes de tempête et de naufrage des précurseurs italiens ou flamands, l’itinéraire passe par Adrien Manglard (1695-1760), Joseph Vernet (1714-1789), Jean Pillement (1728-1828), Philippe Jacques de Loutherbourg (1740-1812) ou Pierre Henri de Valenciennes (1750-1819), qui s’en sont inspirés. Si la beauté de la nature ne les laisse pas indifférents, ces peintres perpétuent le schéma d’une mer hostile à la terrifiante étrangeté. Dans leurs œuvres, les personnages à la merci des éléments prient ou maudissent Dieu. Le Naufragé (vers 1800, [voir ill.]) de Louis Garneray (1783-1857) montre, au milieu des flots, un homme implorant le ciel. Henri Bernardin de Saint-Pierre, dans son roman Paul et Virginie (1788), fait mourir sa jeune et pieuse héroïne pour n’avoir pas voulu ôter sa robe pour se sauver de la noyade. Son corps est retrouvé sur la plage par l’esclave Domingue, ses paupières closes et « la sérénité […] encore sur son front ».
Au XIXe siècle, la tempête est perçue comme un déchaînement des forces de la nature en résonance avec les émotions qui bouleversent l’artiste comme le spectateur. Ce point de vue subjectif se traduit par le choix fréquent de faire disparaître la côte dans les représentations de tempête comme de naufrage. Victor Hugo prend ce parti dans ses illustrations exécutées pour son roman Les Travailleurs de la mer (1882). D’autres n’introduisent un premier plan que pour rappeler la fragilité des terres devant l’océan déchaîné. Il en est ainsi de Courbet dans La Trombe, Étretat (vers 1869-1870) et de Paul Huet (1803-1869) dans Brisants à la pointe de Granville (Manche) (vers 1852). Quant aux impressionnistes et à leurs amis, ils n’aiment pas la mer tempétueuse. Monet n’a peint l’océan agité qu’à Belle-Île et Manet s’est contenté de jolies brises poussant des voiliers. Cependant, Eugène Boudin a peint une mer plus formée dans Un grain (1886) présenté ici.
Le parcours s’achève sur le thème des épaves. Eugène Isabey (1803-1886) et Pierre Émile Berthélémy (1818-1894) ont représenté les poignants débris rejetés sur le rivage où se mêle parfois le corps d’un marin. Le personnage de la noyée est abordé de façon diamétralement opposée par Théodore Géricault (1791-1824) avec L’Épave (vers 1818-1819) et Jules Arsène Garnier (1847-1889) dans une œuvre du même titre de 1873. L’une, tragique, laisse à peine deviner un enfant échoué sous le corps de sa mère, l’autre est un nu morbide et aguicheur contemplé par deux Noirs emplumés, version dérisoire d’une Virginie qui aurait enlevé sa robe et gardé les yeux ouverts.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°559 du 22 janvier 2021, avec le titre suivant : Quand les artistes prennent la mer