LE HAVRE - Quand on est un artiste accompli et réputé de 65 ans et que l’on a participé à la révolution divisionniste, qu’a-t-on encore à prouver?
Pas grand-chose. C’est en tout cas ce que l’on ressent au Musée Malraux du Havre (Seine-Maritime), devant la série des « Ports de France » réalisée entre 1929 et 1931 par Paul Signac (1863-1935). Présenté à son mécène Gaston Lévy, le projet devait emmener l’artiste, six mois durant, le long d’une centaine de ports du littoral français ; il s’était donné pour défi d’exécuter deux aquarelles dans chaque site. Menée à bord d’une fidèle « conduite intérieure C4 Citroën » avec chauffeur, l’aventure dura en réalité deux ans, le temps de faire étape dans « quarante ports de la Manche, quarante ports de l’Océan ; vingt ports de la Méditerranée ». Mais elle ne souffrit d’aucune figure imposée : l’artiste s’était donné la liberté de représenter le même motif, soit avec un angle très légèrement modifié, soit sous deux point de vue parfaitement distincts. Seules conditions de cette petite folie, afin d’en assurer la cohérence : le format et le grain de la feuille de papier, et le médium (aquarelle et crayon, parfois rehaussé de gouache). Une technique qui s’accorde à la rapidité d’exécution et au rythme intrépide de l’artiste, dont le plaisir et l’enthousiasme manifestes pouvaient l’entraîner à couvrir des centaines de kilomètres dans la même journée – ainsi deux aquarelles attestent de sa présence à Lorient (Morbihan) et à Paimpol (Côtes-d’Armor) le 1er juin 1929.
1er choix pour le mécène
Respectant le ton des expositions didactiques et de grande qualité du musée du Havre, l’accrochage suit la chronologie de la série, et reconstitue l’itinéraire emprunté par le peintre – une carte de France localisant tous les sites se révèle ici utile. Sur les deux séries exécutées par Signac – soit un minimum de deux cents œuvres –, seules quatre-vingt-dix paysages sont aujourd’hui localisés. Rappelons que Gaston Lévy a eu le premier choix pour constituer sa propre série, et que l’artiste s’est retrouvé avec la série « par défaut ». Mais, comme en témoigne en vitrine un exemplaire démembré des albums en cuir dans lesquels les aquarelles avaient été montées sur carton et reliées, les œuvres ont été dispersées. Acteur majeur de ce travail de reconstitution, James T. Dyke a fait don de sa collection à l’Arkansas Arts Center de Little Rock (États-Unis). Un autre collectionneur privé a, depuis, pris le relais, et se tient à l’affût de toute nouvelle toile apparaissant sur le marché.
En l’absence de cachet de collection, il est impossible de savoir de quel ensemble (Lévy ou Signac) provient chaque aquarelle. Gageons que le mécène avait jeté son dévolu sur les plus belles, dont les couleurs tranchantes donnent du corps au motif. Celles-ci s’inscrivent en effet au plus près de la tradition du Grand Tour, de Joseph Vernet, Nicolas Ozanne et Louis Garneray dont Signac, en bon marin, s’était réclamé avant de partir sillonner les côtes de France.
jusqu’au 16 janvier 2011, Musée Malraux, 2, bd Clemenceau, 76600 Le Havre, tél. 02 35 19 62 77, tlj sauf mardi, le 25 décembre et le 1er janvier, 11h-18h du lundi au vendredi, 11h-19h le week-end. Catalogue, éd. Gallimard, 222 p., 35 euros, ISBN 978-2-07-013078-8.
-Commissariat : Annette Haudiquet, directrice du Musée Malraux ; Bruno Gaudichon, directeur de La Piscine, à Roubaix
-Commissariat scientifique: Marina Ferretti Bocquillon, directrice scientifique du Musée des impressionnismes, à Giverny, et responsable des archives Signac
-Œuvres : 80 aquarelles et une vingtaine d’huiles sur toile
-Itinérance : La Piscine, à Roubaix, 12 février-22 mai 2011.
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Un Signac dans chaque port
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Abonnez-vous dès 1 €Le 26 octobre a été officiellement lancé le « Cercle de mécènes » du Musée d’art moderne André-Malraux, au Havre. À ce jour, sept entreprises ont accepté de soutenir les actions et le développement du musée. Trois sont havraises : l’entreprise d’ingénierie Auxitec, HDS Peintures, Groupama Transport ; les autres ont un profil national : GDF-Suez, CIC Nord-Ouest. Le musée bénéficiera d’un soutien financier pour l’organisation de ses expositions, la restauration de ses œuvres et ses actions culturelles. En contrepartie, les sociétés adhérentes profiteront d’un accès gratuit aux salles, et de la mise à disposition des espaces du musée. Le Cercle des mécènes souhaite convaincre une trentaine d’entreprises d’ici trois ans, ce grâce à un seuil d’adhésion modeste (2 000 euros) fiscalement déductible à 60 %.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°335 du 19 novembre 2010, avec le titre suivant : Un Signac dans chaque port