Art moderne

Paul Perrin : « Les 2/3 de la production de Caillebotte sont des œuvres à sujet exclusivement masculin »

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 24 septembre 2024 - 455 mots

PARIS

Trente ans après la rétrospective « Caillebotte », comment l’exposition du Musée d’Orsay va se distinguer ?

Ce n’est pas une rétrospective, même si tous ses grands chefs-d’œuvre sont là. Nous ne voulions pas montrer toute sa production – par exemple, il n’y a pas de nature morte ni de paysage –, mais nous concentrer sur un thème central, majeur, et qui est une vraie particularité de Caillebotte : la figure masculine. C’est unique car les 2/3 de sa production sont des œuvres à sujet exclusivement masculin. Ce n’est pas du tout le cas de ses amis dont les manifestes sont des figures féminines (Olympia de Manet, les danseuses de Degas) ou des tableaux montrant des relations entre hommes et femmes comme La Balançoire de Renoir. De plus, il est le seul peintre de son temps à réaliser un grand nu viril : Homme au bain.

Comment expliquez-vous cette différence ?

Caillebotte vit dans un monde très masculin et c’est un peintre qui puise ses sujets dans son environnement immédiat. Il est probablement marqué par son enfance au milieu de ses frères et une figure paternelle très forte. Il y a une sorte de prédilection pour l’homosociabilité qui revient tout au long de sa vie ; il fréquente constamment des groupes masculins : les impressionnistes, le Cercle de la voile, etc. Cet attrait pour les relations masculines pose aussi la question de sa sexualité bien que l’on n’ait pas de témoignage ni de preuve sur le sujet. On sait seulement qu’il était célibataire, c’est-à-dire non marié, et qu’il n’a pas eu d’enfant. Toutefois, il a vécu avec une femme, Charlotte Berthier, mais on ne connaît pas la nature de leur relation. Elle était peut-être simplement une dame de compagnie qui s’occupait de la maison. Mais en l’absence d’éléments, cela relève de la spéculation. Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’il l’a très peu représentée et très rarement dans des scènes à contenu érotique ou amoureux, contrairement aux habitudes des membres du groupe avec leurs compagnes.

Qu’incarne l’homme pour lui ?

Ce qui l’intéresse, ce sont les sujets modernes. Quand il peint des passants dans la rue, c’est pour montrer la rue qui est un espace moderne. Pareil pour le sport, les ouvriers et les travailleurs, ce sont des thèmes modernes et qui résonnent avec sa personnalité et son identité. Malgré son statut de grand bourgeois, il ne se considère pas du tout comme un rentier oisif. Il veut être considéré comme un peintre professionnel, et c’est vrai également pour ses autres passions qu’il pratique quasiment en professionnel. Sa volonté de montrer le travail et l’effort, et de réunir en peinture le bourgeois et l’ouvrier sont aussi une manière de se définir comme homme et comme peintre.

Paul Perrin
est conservateur en chef au Musée d’Orsay et commissaire de l’exposition « Caillebotte, peindre les hommes ».

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°779 du 1 octobre 2024, avec le titre suivant : Paul Perrin : « Les 2/3 de la production de Caillebotte sont des œuvres à sujet exclusivement masculin »

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