MÔTIERS / SUISSE
Né d’une initiative locale, le parcours d’œuvres installées en plein air dans un vallon suisse offre une rencontre sans prétention entre l’art et le public.
Môtiers/Val-de-Travers. Des histoires, il s’en raconte depuis longtemps dans le Val de Travers, longue vallée montagneuse et boisée du Jura suisse située au-dessus du lac de Neuchâtel et à deux pas de la frontière française. Comme celle des distillateurs d’absinthe, ce fameux breuvage de la « fée verte » originaire du vallon jurassien devenu prohibé. Ils œuvraient dans la clandestinité derrière les façades de leurs maisons villageoises. Le jeune artiste Gregory Sugnaux rend hommage à cet esprit de résistance intrinsèque aux gens du cru avec son installation La More, une façade de saloon Far West grandeur nature, tel un décor de cinéma posé en pleine nature. Ou encore celle d’un philosophe des Lumières, Jean-Jacques Rousseau, qui s’y est exilé entre 1762 et 1765 après être devenu indésirable en France. En cette fin juin 2021, c’est aussi une personne non originaire du Val de Travers qui habite la « Maison Rousseau » qui fait office de musée, au cœur du vieux village de Môtiers : l’artiste conceptuelle d’origine lorraine et installée en Suisse, Florence Jung, lui a proposé d’y séjourner et invite les habitants ou gens de passage à sonner à sa porte. Ces exemples ne sont qu’un avant-goût des 48 œuvres éphémères qui ont essaimé le temps de l’été dans le village de Môtiers et sa nature environnante et qui se découvrent dans des recoins, par surprise, le temps d’une balade à pied.
Les réalisations les plus réussies sont celles dans lesquelles un vrai dialogue avec le cadre opère – on pense au rhinocéros en béton d’Olivier Estoppey suspendu à un arbre. Cascade, rivière, forêts, chemins creux, fontaines, champs et même habitations : les artistes invités, de nationalité suisse ou vivant en Suisse, se sont approprié leur petit bout de terrain et ont chacun créé une œuvre in situ. Des célébrités (comme Urs Lüthi, Olivier Mosset, Ben ou Roman Signer) côtoient de jeunes et talentueux artistes (les frères Chapuisat, Claudia Comte ou Alexandre Joly). Avant eux, Jean Tinguely, Max Bill, Daniel Spoerri ou le duo Peter Fischli et David Weiss y avaient participé car la manifestation « Môtiers-Art en plein air » fête en 2021 sa 8e édition. Tout est parti en 1985 de la passion et de la volonté d’un couple de professeurs locaux, désireux de redonner dynamisme et espoir à leur région horlogère en perte de vitesse. Au scepticisme des débuts a succédé l’engagement de toute une localité pour faire vivre une manifestation artistique populaire au sens noble du terme. La preuve : d’éphémères, certaines installations sont devenues permanentes, tels une tuile de couleur différente sur un toit de maison villageoise signée John M. Armleder ou ce nain de jardin géant, œuvre des créateurs de cartes postales décalées Plonk & Replonk. Au fil du temps et des éditions, la manifestation s’est professionnalisée et un jury constitué en partie de membres de la Commission fédérale d’art sélectionne les participants.
Qu’est-ce qui explique le succès aujourd’hui de cette manifestation comme celle de sa voisine vaudoise « Bex & Arts », une triennale de sculpture contemporaine en plein air ? Peut-être ce cadre naturel désinhibant, loin des cimaises de musée, ce parcours libre et non contraignant sur le mode de la promenade, et une approche ludique voire joyeuse de l’art, si bienvenue après cette sombre année de pandémie. Pas de grands discours ni de longs textes, de cartels ou de panneaux indicateurs encombrants : pour seuls guides, le visiteur dispose d’un plan et d’une succincte description des œuvres sous la forme d’un leporello ou d’une application mobile. Môtiers-Art en plein air joue la carte de l’accès à l’art et gage sur le pouvoir enchanteur de ces installations et sculptures. Une porte ouverte sur l’art et la nature qui mérite le détour car il se murmure que cette édition pourrait bien être la dernière pour les créateurs et organisateurs de l’événement. Reste à espérer que cette histoire n’est, cette fois-ci, qu’un racontar.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°571 du 9 juillet 2021, avec le titre suivant : Môtiers, l’art au détour des chemins