PARIS
Le mouvement impressionniste est abordé sous l’angle des arts décoratifs. S’il reste seulement quelques éléments épars de ces décors, on peut en mesurer ici les ambitions et les réalisations.
Paris. Voilà une dizaine d’années que Sylvie Patry avait le projet de raconter l’histoire du décor impressionniste en relation avec Les Nymphéas (1914-1926) de Monet. La directrice de la conservation au Musée d’Orsay a pu enfin le mener à bien avec la conservatrice Anne Robbins, réunissant une centaine d’œuvres venues du monde entier pour la première exposition jamais organisée sur ce thème et dont le catalogue fait le point sur la recherche. La période couverte s’étend des années 1860 à l’accrochage des Nymphéas à l’Orangerie des Tuileries, en 1927. Cependant, n’ont été inclus que les participants aux expositions impressionnistes – Marie et Félix Bracquemond, Caillebotte, Mary Cassatt, Cézanne, Degas, Monet, Berthe Morisot, Pissarro, Renoir. S’y ajoute Manet, bien que n’appartenant pas au mouvement, « parce qu’il a beaucoup échangé avec les impressionnistes sur ces questions de peinture décorative », précise la commissaire. Notons qu’outre les Nymphéas, un seul élément d’un décor peint impressionniste est resté en place, ces décors ayant été partout ailleurs dispersés ou détruits.
Le résultat est passionnant car il change le regard sur des œuvres que l’on considérait jusqu’à présent comme des tableaux de chevalet ; plusieurs n’ont pas été présentées en France depuis très longtemps. Il permet de comprendre que, suivant les cas, le peintre ne traite pas de la même façon le sujet : sur un panneau décoratif, il pousse davantage la couleur et privilégie la vision d’ensemble. Le diptyque monumental de Pissarro, Vaches s’abreuvant dans l’étang de Montfoucault, automne et L’Étang de Montfoucault en hiver, effet de neige (1875), est un exemple saisissant de la sublimation de ces contraintes par l’artiste. Il en est de même des trois panneaux de Caillebotte, Pêche à la ligne, Baigneurs et Périssoires (1878), réunis pour la première fois depuis des décennies : des personnages se détachant sur un fond relativement peu défini où s’ouvre une trouée de lumière : le spectateur devait se sentir comme happé par la scène.
Leurs recherches ont amené par ailleurs les peintres à cet effet de all-over qui inspirera l’art contemporain. Monet l’a expérimenté avec Chrysanthèmes (1897, ci-contre) et en a trouvé l’aboutissement dans ce qu’il nommait ses « grandes décorations », le cycle de l’Orangerie. Quant à Caillebotte, il y a recouru pour son Parterre de marguerites (vers 1893) inachevé, que le Musée des impressionnismes de Giverny a reconstitué récemment à partir des fragments dont il disposait. Les Grandes Baigneuses (1884-1887) de Renoir sont l’exemple le plus frappant de la singularité de la peinture décorative. On ne peut comprendre cette scène inspirée de la peinture classique, à laquelle elle emprunte son sujet de Diane sortant du bain, sans noter que le peintre l’intitulait « Baigneuses. Essai de peinture décorative ». Il ne s’agit plus ici de peinture en plein air mais d’une œuvre construite de toutes pièces en atelier, dans une technique à la matité de fresque, la couleur des nus é tant poussée au blanc. L’artiste, qui s’est intéressé toute sa vie à la peinture décorative et à ses techniques, l’expérimente ici jusqu’à la radicalité.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°585 du 18 mars 2022, avec le titre suivant : À l’Orangerie, un autre visage de l’impressionnisme