NANTES
Nantes remet en scène cet enfant du pays, faux héros de « théâtres optiques » ingénieux et désopilants.
Nantes (Loire-Atlantique). Le travail de Pierrick Sorin (né en 1960) a été très en vogue au tournant des années 2000. Happé par les collaborations avec les marques et avec l’opéra, l’artiste vidéaste et scénographe avait cependant disparu des radars de l’art contemporain – au point qu’en 2019, lorsque le Centre Pompidou-Metz consacre une exposition aux relations qu’entretient l’art lyrique avec les arts visuels, il n’y figure pas. En 2001, Pierrick Sorin investissait pourtant le rez-de-chaussée de la Fondation Cartier pour l’art contemporain avec une succession de vidéos utilisant différents procédés techniques. Parmi eux, ses « théâtres optiques » lui valent alors beaucoup de succès. Projeté sous forme d’hologramme, son personnage miniature, endossant toutes sortes d’identités, seul ou démultiplié, rejoue à l’infini des saynètes souvent absurdes : tenir en équilibre sur un savon, marcher en boucle sur une platine vinyle en mouvement, refaire les premiers pas sur la Lune, entonner en duo une complainte folk dans un décor de maison de poupée, faire de la plongée dans un aquarium… Autant de situations cocasses jouant des rapports d’échelle et de l’illusion optique. Il explique aujourd’hui avoir cru inventer ce dispositif en 1995, avant de s’apercevoir qu’il était déjà connu. « J’avais observé un phénomène de reflet dans une vitrine et je l’ai reproduit en superposant une image filmée à un décor réel miniature. En fait ce trucage existait depuis le XIXe siècle : il servait à faire apparaître des fantômes sur scène. »
Ces petits théâtres amusants constituent l’essentiel de ce que le Musée d’arts de Nantes a choisi de montrer dans cette exposition qui rend enfin hommage à un enfant du pays : Pierrick Sorin est né à Nantes en 1960, il y a étudié à l’École des beaux-arts et il y vit toujours – il ouvrira d’ailleurs pour la première fois son atelier cet été avec des créations inédites dans le cadre du Voyage à Nantes (du 6 juillet au 8 septembre).
Trois dispositifs de format plus important sont également mis en exergue. Peindre et nettoyer, ou la volonté à l’œuvre (2024) accueille ainsi le visiteur dès l’entrée. L’artiste y apparaît de face, en laveur de carreaux armé d’un rouleau, apparemment placé derrière une vitre recouverte de liquide savonneux qu’il est en train de nettoyer. Peu à peu, les traces de son intervention inscrivent dans la mousse les contours d’un dessin. Une composition en creux apparaît, qu’il ponctue ici et là d’une touche de couleur, comme sous l’effet d’une inspiration subite. L’effet comique accompagne l’ambition esthétique dérisoire du personnage qui, en se prenant pour un peintre, détourne une opération ordinaire en acte créateur. En se faisant passer pour une performance « live », la vidéo, projetée en fait sur un écran translucide, contribue d’autant plus à mettre à distance la notion de démarche créative et l’aura de l’artiste. Tout est faux.
Au milieu du parcours, l’installation vidéo L’Homme qui a perdu ses clefs (2017) mime les codes de la série noire et du cinéma psychologique à travers des gros plans sur l’expression torturée de son personnage, en proie à une angoisse banale filmée comme un drame existentiel. Enfin dans la chapelle de l’Oratoire, l’installation Le Balai mécanique (2023) (réalisée en hommage au film de Fernand Léger de 1924) met en regard des images filmées et des objets bricolés animés. Deux personnages (Pierrick Sorin dédoublé) interprètent dans une vidéo une partition qui paraît synchronisée avec la bande-son de ce décor hétéroclite, mais là encore, rien de ce que l’on croit voir n’est vrai. C’est évidemment cette façon de douter des images qui, au-delà de ses ressorts burlesques et parfois répétitifs, rend le travail de Pierrick Sorin actuel. Mais aussi la perfection insensée de ses petits théâtres méticuleusement agencés, où le sérieux se trouve inextricablement lié à la pulsion comique, la fantaisie régie par une précision maniaque.
Une pièce, que l’artiste juge charnière dans son parcours, ne figure pas dans l’exposition, on peut le regretter. Il s’agit du film intitulé C’est mignon tout ça, présenté en « off » de la 45e Biennale de Venise, en 1993. On y voit un homme habillé en femme, jupe courte, bas noirs et talons aiguilles. Se hissant à quatre pattes sur une table, il se filme par-derrière et projette devant ses yeux l’image de son fantasme (une paire de fesses féminines). Le spectateur, lui, voit à la fois le dispositif et la séance d’auto-voyeurisme. Elle anticipait selon Pierrick Sorin la façon dont « la vidéo pouvait favoriser une forme de perversité narcissique ». Plutôt bien vu.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°637 du 5 juillet 2024, avec le titre suivant : L’illusion comique de Pierrick Sorin