Artiste facétieux, Pierrick Sorin construit son œuvre autour de sa propre image et incarne dans ses « autofilmages » un personnage drolatique aux prises avec le quotidien. Une démarche qu’il qualifie lui-même de « poésie du désabusement ».
Sorino le magicien, Petit Sorin, Le Monstre sont autant d’appellations ou de sobriquets dont s’affuble Pierrick Sorin dans ses installations vidéos. Homme sans qualité comme le protagoniste de Robert Musil, il gesticule frénétiquement, accumulant les échecs, les maladresses, les situations absurdes, empêtré dans un univers domestique et quotidien, dont témoigne la série intitulée Une vie bien remplie. Son œuvre questionne avec humour, impertinence et désespoir la condition humaine, le positionnement de l’artiste, le processus créatif et nos habitudes de consommateurs d’images passifs. C’est toute la frustration d’un poète hésitant entre critique et attirance qui s’exprime dans son art vidéo jubilatoire. Pratiquant tout d’abord l’« autofilmage » par commodité, il l’érige en style, se lançant dans une véritable quête de la connaissance de soi, se grimant parfois en différents personnages dans la plus pure tradition du music-hall (Nantes : projets d’artistes). De nombreux clins d’œil au cinéma jalonnent son œuvre, de Buster Keaton, Jacques Tati, à Mister Bean avec, comme leitmotiv, le thème de l’anti-héros, mauvais danseur, mauvais magicien, auteur de mauvais spectacle.
Pour l’exposition de la Fondation Cartier, il nous invite à visiter l’appartement d’un collectionneur fou de Pierrick Sorin. Au sein de ce haut lieu de l’architecture muséale de verre, il nous enferme dans un espace clos et intime. Les vidéos encastrées dans les murs envahissent les lieux. Sur des écrans, des hôtesses d’accueil reçoivent les visiteurs dans le sas d’entrée : l’effet sarcastique est assuré, tant leurs visages, résultat de différents morphings, mixent les âges, les sexes, les races, tandis que leurs yeux démesurés grincent à chaque mouvement. « It’s really nice... I like this work very much », murmurent ces mutants en déglutissant, se moquant ainsi des propos insipides que l’on entend fréquemment lors des vernissages (une salle leur est consacrée en fin de parcours). Le hall d’entrée qui fait suite ne mène à rien ; il abrite L’Homme qui a perdu ses clefs, une installation vidéo qui combine image virtuelle et image projetée. Pierrick Sorin, en proie à l’angoisse, tel un lilliputien, se met en abyme par rapport à son image grand format. Trois petits Sorins réalisant des chorégraphies d’aujourd’hui dans un aquarium grandeur nature occupent le séjour. Cette pièce se moque du sérieux de certaines chorégraphies contemporaines qui frisent parfois le grotesque. L’animation suivante, Sorino le magicien, est une véritable mise à distance de l’artiste qui devient amuseur public. Toujours dans le salon, un écran circulaire évoque le zapping télévisuel (extraits de fausses émissions comme ce reportage sur un éleveur de canards...) alors que la salle de bains plonge le spectateur dans une baignoire. Par un jeu de caméra cachée, le visage du visiteur se retrouve en effet projeté sur le personnage qui est dans son bain, regardant passivement des pitreries « sorinistes » à la télévision. Cette volonté de dénoncer l’impact télévisuel est dans la lignée de Nam June Paik qui aurait affirmé : « La télévision nous a attaqués toute notre vie, maintenant nous ripostons ». Pour la chambre à coucher l’artiste crée un dispositif proche de ceux de Tony Oursler. Il extrait son image de l’écran TV pour la projeter sur un objet du quotidien, en l’occurrence un oreiller. 143 positions érotiques nous montrent l’artiste aux prises avec un polochon qu’il tord dans tous les sens, allusion ironique au voyeurisme contemporain. Le cheminement se poursuit avec l’atelier qui accueille une rétrospective de tous les films que Pierrick Sorin a réalisés depuis le début de sa carrière, le premier remontant à l’âge de 14 ans. Touche-à-tout, tragi-comique, narcissique le Sorin ? Certainement. Tout sauf un mauvais artiste.
NANTES, Musée des Beaux-Arts, 10, rue Georges Clémenceau, 44000 Nantes, tél. 02 40 41 65 65, 7 février-16 avril, PARIS, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261, bd Raspail, 75014 Paris, tél. 01 42 18 56 50, 15 mars-27 mai, cat. en DVD, 80 F et galerie Rabouan-Moussion, 121, rue Vieille du Temple, 75003 Paris, tél. 01 48 87 75 91, 12 avril-27 mai.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Pierrick Sorin
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°525 du 1 avril 2001, avec le titre suivant : Pierrick Sorin