ISSY-LES-MOULINEAUX
Figure de l’Art nouveau, l’artiste polymorphe a réalisé des décors de mairies montrant la Troisième République comme un éden social.
Issy-les-Moulineaux. Membre éminent de l’école de Nancy, point focal de l’Art nouveau en France, Victor Prouvé (1858-1943) a connu une première carrière brillante à Paris où il a vécu à partir de 1877 (il entrait alors à l’École des beaux-arts dans l’atelier d’Alexandre Cabanel) jusqu’en 1902. Pendant cette période, il a notamment livré, en 1897, le décor de l’escalier d’honneur de la mairie d’Issy-les-Moulineaux qui vient de bénéficier d’une importante restauration. À cette occasion, le musée de la ville, avec la participation du Musée de l’école de Nancy, présente la période parisienne de l’artiste, sous le commissariat de Charlotte Guinois. Une cinquantaine d’œuvres permet de découvrir ces années fécondes pendant lesquelles s’est affirmé son talent de décorateur.
Le vase Pitié ou La Charité (vers 1899-1900, voir ill.) a été dessiné par Victor Prouvé pour le verrier nancéen Émile Gallé qui l’a présenté à l’Exposition universelle de 1900. Un dessin préparatoire permet de mieux lire le décor représentant un vieillard protégé par une jeune femme. Dans l’abondant courrier que l’industriel envoyait à l’artiste, il avait spécifié le thème, dérivé de l’Évangile de saint Matthieu : « Car j’ai eu froid et vous m’avez réchauffé / J’étais étranger et vous m’avez recueilli. »Émile Gallé a commandé des décors à Prouvé dès 1874. Charlotte Guinois précise que c’est celui-ci qui a imposé à Gallé les figures féminines typiques de l’Art nouveau que l’on retrouve aussi sur le Vase aux roses (vers 1899-1900) dessiné pour les frères Mougin, céramistes nancéens, le coffret La Parure (1894) réalisé en collaboration avec un autre artiste de l’école de Nancy, le méconnu Camille Martin, ou encore les soliflores Fille-fleur (1896, 1902) en bronze ou biscuit.
Dans un tout autre registre, Victor Prouvé concourt pour le décor de la salle à manger de l’hôtel de ville de Paris entre 1891 et 1893. Le dessin préparatoire pour L’Ambroisie (1892), motif du médaillon central du plafond, montre le réalisme de ses personnages, très éloignés des « filles-fleurs ». Son travail est remarqué et, à la fin de 1895, le conseil municipal d’Issy-les-Moulineaux, commune ouvrière, décide de lui commander « une frise peinte pour la décoration de l’escalier de la mairie » conduisant notamment à la salle des mariages. Le sujet en est « la vie », soit les grandes étapes du bonheur familial que Prouvé imagine au contact de la nature. On peut en voir le modello et de grands pastels, huiles et fusains préparatoires. En 1898, il reçoit la commande du décor de la salle des fêtes de la mairie du 11e arrondissement de Paris. Plusieurs huiles permettent de se faire une idée de ce cycle intitulé Séjour de paix et de joie (1907). À travers ces visions poétiques, il se donne pour mission de montrer la vie simple et heureuse du peuple sous un gouvernement républicain.
Après avoir vu au musée un documentaire précis et technique présentant la restauration des toiles de la mairie d’Issy-les-Moulineaux (un type et une qualité d’information rarement mis à disposition du grand public), il est possible de les admirer en visite libre pendant le temps de l’exposition.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°592 du 24 juin 2022, avec le titre suivant : L’idéal républicain de Victor Prouvé Figure de l’Art nouveau, l’artiste polymorphe a réalisé des décors de mairies montrant la Troisième République comme un éden social