Le Gemeentemuseum se pare des couleurs primaires chères au groupe hollandais, où dessins, maquettes et mobiliers racontent les principes esthétiques qui ont animé le néoplasticisme.
La Haye. L’architecte Hendrik Petrus Berlage doit certainement se retourner dans sa tombe. Accueillir au Gemeentemuseum de La Haye, son ultime bâtiment, une bande d’« énergumènes » comme le groupe De Stijl (dont le centenaire est fêté en grande pompe, cette année, aux Pays-Bas) prônant l’antithèse de sa philosophie architecturale, il y aurait de quoi. Auteurs de ce « méfait » : Hetty Berens, conservatrice au Het Nieuwe Instituut, à Rotterdam, et Hans Janssen, conservateur au Gemeentemuseum, commissaires de cette vaste exposition intitulée « Architecture et Intérieurs, Le Désir de style », qui rassemble dessins, peintures, maquettes, meubles et films.
La présentation débute par un hommage à cette figure de l’architecture batave : on peut voir, en photographie, la première maison en béton construite aux Pays-Bas par Berlage justement, en 1911, à Santpoort, non sans toutefois esquisser un sourire. Si le fameux architecte use alors d’un matériau très contemporain, le béton, son style évoque davantage la tradition que la modernité en devenir. En regard, la maquette d’une maison particulière signée Theo Van Doesburg et Cornelis Van Eesteren – volumes cubiques, intersections de plans, couleurs par aplats ou sur tranches… – paraît tout droit provenir d’une autre planète. Le décor est ainsi planté d’emblée. Le parcours, lui, se compose d’une douzaine de thèmes, dont nombre illustrent des sujets initiés dès le XIXe siècle : transparence, pureté, couleur ou espace (comme expérience spirituelle). Le groupe De Stijl se serait-il contenté de reprendre lesdits thèmes ? Que nenni ! « Les membres de De Stijl se sont, certes, beaucoup inspirés de notions déjà en vigueur au XIXe siècle, mais ils les ont reformulées, insiste Hans Janssen, co-commissaire de l’exposition. Toutes ces idées qui, soit dit en passant, n’étaient plus à la mode et fonctionnaient d’ailleurs chacune indépendamment, De Stijl les a, pour la première fois, réunies. À l’instar de la fusion de l’atome, ils ont amalgamé ces divers domaines pour n’en faire qu’un. Résultat : ce qui était demeuré, jadis, au stade de la théorie s’est pour la première fois matérialisé. Là était l’innovation. À l’époque, cela généra une transformation complète de la réalité quotidienne en quelque chose de totalement nouveau. »
Un nouveau langage entre art et environnement
Le moins que l’on puisse dire est que cette nouveauté sourd à chaque pas. À commencer par ce qui permettra aux créateurs d’inventer des formes originales : les matériaux. Une vitrine arbore une splendide collection de pavés de verre de tous gabarits, manière d’évoquer l’apport de la transparence dans les bâtiments. Réduire le langage visuel aux formes les plus fondamentales est leur credo. Côté graphisme, c’est un régal pour les yeux, tels ce menu pour le restaurant Leo Faust, à Paris, dessiné par Piet Zwaart en 1926, ou ces compositions pour des carrelages 15 cm x 15 cm imaginées, en 1936, par Bart Van der Leck. En architecture aussi, les exemples sont légion. En témoigne cette maquette de « maison d’artiste » imaginée par Van Eesteren et Van Doesburg, étrange accumulation de plateaux et de cubes autour d’une colonne centrale. Cette fois édifiée et visitable depuis déjà trois décennies, la sublime Maison Schröder – ici sous forme de maquette également – a été conçue en 1925, à Utrecht (Pays-Bas), par Gerrit Rietveld. Véritable « révolution de l’espace », ce cube ouvert habillé de blanc, de noir et des trois nuances emblématiques – rouge, jaune, bleu – est illico devenu un modèle idéal pour expérimenter un nouveau mode de vie.
Le mobilier, lui aussi, ne manque pas d’étonner, résumant, à lui seul, l’essence de cette quête de géométrie. Ainsi en est-il de ces deux pièces signées également Rietveld : la chaise Berlin, faite de pans de bois savamment agencés, ou cette suspension simplement constituée de trois petits néons, chacun positionné dans l’une des trois dimensions – longueur, largeur, hauteur.
En guise d’« œuvre d’art total » est reconstitué, en toute fin de parcours, l’ancien atelier parisien de Piet Mondrian, entre 1921 et 1925, espace labellisé « l’un des intérieurs les plus radicaux De Stijl », que le peintre a petit à petit transformé en « une monumentale composition néoplastique », aujourd’hui disparue. D’ailleurs, au final, rares sont les projets qui ont été construits « en dur ». Trop avant-gardiste De Stijl ? Peut-être. À preuve : la villa de Lange à Alkmaar (Pays-Bas), érigée en 1917 par Jan Wils. À peine un an plus tard, la palette intérieure chatoyante de Theo Van Doesburg sera recouverte de peinture blanche, les commanditaires ayant du mal à vivre avec la composition chromatique du peintre. Dans une vidéo, les propriétaires actuels, Hans et Monique Leygraaf, racontent comment, depuis une vingtaine d’années, ils s’acharnent, eux au contraire, à restituer les couleurs d’origine. Des fans absolus en quelque sorte.
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L’habitat selon de Stijl
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Abonnez-vous dès 1 €Theo van Doesburg et Cornelis van Eesteren, Maison particulière, 1923, maquette. © Gemeentemuseum, La Haye.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°482 du 23 juin 2017, avec le titre suivant : L’habitat selon de Stijl