Fondateur du mouvement De Stijl, Theo Van Doesburg fut aussi un compagnon de route des dadaïstes, ainsi que le rappelle l’exposition de Bozar à Bruxelles.
BRUXELLES - Homme de manifestes et de pamphlets, fondateur du mouvement De Stijl en 1917, Theo Van Doesburg (1883-1931) se dissimule derrière des pseudonymes pour mieux afficher ses idées. Né « Christian Emil Marie Küpper », il n’a cessé d'user de noms d’emprunt. Jeune adulte, il a opté pour le patronyme de « Doesburg » qui fut probablement celui de son père biologique. Pour ses écrits philosophiques, il s’est abrité sous l'identité d’« Aldo Camini », et sous celle d'« I.K. Bonset » (anagramme de la phrase « Ik ben sot » [je suis sot]) pour sa poésie lettriste et ses créations d’inspiration dadaïste. Cette tendance au dédoublement de la personnalité s’accompagne chez lui d’un penchant affirmé pour le mariage des contraires.
Sur une carte postale de 1921, Van Doesburg se représente de dos enveloppé d’une aura sur laquelle il a griffonné en lettres rouges : « Je suis contre tout et tous. » Peintre, architecte, poète, performeur, graphiste, théoricien et directeur de deux revues (De Stijl et Mécano), l’artiste s’intéresse aussi au mobilier et à l’architecture. Pour évoquer cet homme multifacettes et sans cesse en mouvement, Gladys C. Fabre, la commissaire de l’exposition présentée à Bozar, à Bruxelles, a créé un parcours thématique et chronologique clair et judicieux en forme de kaléidoscope. Au programme, plus de 140 peintures, dessins, photographies, revues, publications, meubles, maquettes et vitraux de Van Doesburg et de ses contemporains provenant de musées néerlandais et internationaux (Musée national d’art moderne à Paris, Guggenheim de Venise, Galleria nazionale d’arte moderna de Rome, Musée d’art de Winterthur).
Un pas de deux Dada-constructivisme
Une section, attestant de la vision dichotomique de l’artiste, est consacrée aux relations entretenues avec Dada par ce grand prêtre de l’avant-garde qui prônait un langage élémentaire réduit à la ligne droite, au rectangle et aux couleurs primaires. Theo Van Doesburg partage avec Dada, qu’il découvrit en 1920 au hasard de ses pérégrinations en Europe, une même volonté de déconstruction. Une aspiration à briser les frontières entre les disciplines et à réaliser un travail de sape contre tout ce qui représente l’ordre établi. « Ses créations émergent à partir de perpétuelles remises en question, oppositions et contradictions, note Gladys C. Fabre, qui était en 2010 la commissaire de l’exposition « Van Doesburg and The International Avant-Garde » à la Tate Modern, à Londres. « Elles déconstruisent les normes et les fondements passés pour en inventer de nouveaux, cherchant un ordre éthique ou esthétique à partir de la vie. »
Van Doesburg signe son premier article sur Dada en 1920 avant de lui consacrer, en 1923, un manifeste radical frôlant le nihilisme. « Dada est oui-non […] Dada méconnaît tout contenu spirituel élevé de vie, art, religion, philosophie ou politique. […] Dada élimine tout dualisme communément accepté entre la matière et l’esprit, entre l’homme et la nature, entre l’homme et la femme pour créer un point “indifférencié”, un point donc, au-dessus du concept humain de temps et d’espace », écrit l’artiste qui fut ébranlé dans ses certitudes par la découverte de la théorie de la relativité d’Einstein (1916).
Adepte de la didactique « destruction-reconstruction », il organise un Congrès dada-constructiviste en 1922 à Weimar, en Allemagne, suivi de plusieurs manifestations aux Pays-Bas dont témoignent des affiches « Dada tournée » et « Dada soirées ». Des compositions de Kurt Schwitters, de Sophie Taeuber-Arp, de Man Ray, de Paul Citroën (Hollandia) ou de Jean Crottin évoquant un « laboratoire d’idées » illustrent cette collaboration improbable.
Détruire pour reconstruire ? « Au début, Van Doesburg considère surtout Dada comme un moyen de destruction de l’ancien, explique la commissaire. Dada est en quelque sorte la charrue qui doit préparer le sol pour un nouvel art plus constructif. » Ce n’est qu’ensuite qu’il prendra acte des potentialités du mouvement pour un changement souhaité des mentalités. Les dadaïstes, qui perçoivent l’abstraction comme une arme de destruction de la tradition figurative et des valeurs artistiques bourgeoises, trouvent eux aussi leur compte dans cette collaboration avec les tenants de cet art résolument abstrait. « Babord pour tous. Car nous passons et les hirondelles passent avec nous », jubilait Tristan Tzara en 1922 dans la revue Mécano.
Commissaire : Gladys C. Fabre, historienne de l’art
Nombre d’œuvres : 140
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Theo Dada Doesburg
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 29 mai, Bozar, Palais des beaux-arts, Rue Ravenstein 23, Bruxelles, www.bozar.be, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi jusqu’à 21h, entrée 14 €. Catalogue, éd. Fonds Marcator/Bozar Books, 288 p, 40 €.
Légende Photo :
Theo van Doesburg, Contre-composition V, 1924, huile sur toile, 100 x 100 cm, Stedelijk Museum, Amsterdam. © Stedelijk Museum Amsterdam
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°457 du 13 mai 2016, avec le titre suivant : Theo Dada Doesburg