À l’instar de la fable animale, il faut en peinture aussi partir à temps pour arriver au but, ainsi que l’illustre avec plus de cent œuvres, dont beaucoup rarement vues, cette rétrospective célébrant Henri-Edmond Cross, un nom encore méconnu qu’il est temps de réinscrire sur la liste des artistes fondateurs de la modernité.
Même s’il a rencontré Seurat quelques années avant d’en devenir un des plus éloquents adeptes, Cross ne rejoint le mouvement néo-impressionniste qu’en 1891. Auparavant, il s’est attardé en natures mortes, portraits familiaux et paysages réalistes (Le Jardin de roses à Monaco de 1884). Mais, une fois adopté le principe du pointillisme, il va vite, double les autres, s’impose par sa maîtrise de la technique et gagne tous les lauriers. Exposées avec plusieurs de ses toiles en 1892 au Salon des indépendants dont Cross est le vice-président, Les Vendanges consacrent la primauté de son talent. Luce, Signac, plus tard Camoin, Marquet, Manguin, puis Matisse ne s’y trompent pas. Ils le rejoignent sur la côte méditerranéenne où il s’est établi, notamment pour des raisons de santé, et constituent autour de lui une colonie d’amis. À partir des années 1904-1905, afin d’« être soleil » et de « faire danser les couleurs », comme il le dit, Cross prend sa liberté avec le point, élargit sa touche, use d’aplats et de couleurs pures, appuie sur les contrastes, s’affranchit de la restitution littérale de ses débuts. Les tableaux de la troisième section montrent à l’envi comment la lumière ensoleillée triomphe et la sensation de plénitude domine. La Mer clapotante résulte d’une incroyable richesse de palette et de mouvements puissants. Présentées en dernière partie du parcours, légères et abouties à la fois, teintées de japonisme, presque abstraites pour certaines, les aquarelles dont Cross avait découvert le charme lors de son voyage à Venise font la synthèse de ce désir peu à peu satisfait et guidant tout son travail de parvenir à « un art en quelque sorte musical » alliant équilibre, rythme et harmonie.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°715 du 1 septembre 2018, avec le titre suivant : Les tableaux solaires d’Henri-Edmond Cross