Art moderne

XIXE SIÈCLE

Cross dissèque la couleur

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 6 octobre 2023 - 415 mots

Sensible à la lumière et aux couleurs de la Méditerranée, Henri-Edmond Cross s’est illustré dans le pointillisme qu’il emploie avec bonheur dans les paysages.

Henri-Edmond Cross (1856-1910), Plage de la Vignasse, vers 1891-1892, huile sur toile, collection Olivier Senn, Donation Hélène Senn-Foulds, 2004, Le Havre, musée d’art moderne André Malraux. © MuMa Le Havre / David Fogel
Henri-Edmond Cross (1856-1910), Plage de la Vignasse, vers 1891-1892, huile sur toile, collection Olivier Senn, Donation Hélène Senn-Foulds, 2004, Le Havre, musée d’art moderne André Malraux.
© MuMa Le Havre / David Fogel

Saint-Tropez. Henri-Edmond Cross est le pseudonyme d’Henri Edmond Joseph Delacroix (1856-1910). L’artiste a traduit son nom en anglais afin d’éviter toute confusion. Il faut croire que l’on n’échappe pas à son destin car comme, son illustre homonyme, Cross s’intéresse avant tout à la couleur et à ses lois. Ce « lien chromatique » est d’ailleurs attesté dans le célèbre ouvrage signé par son ami, Paul Signac, D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme. Cross comme Signac, fait figure de « passeur » du pointillisme auprès d’Henri Matisse, titre plus adéquat de la théorie néo-impressionniste, dont le fondateur, en 1886, est Georges Seurat.

À la spontanéité des impressionnistes, les pointillistes préfèrent un langage plastique scientifique, doté d’une grammaire aux règles strictes, qui permettrait de produire l’image d’un univers moins évanescent. Cette attitude va de pair avec une réflexion théorique intense – Hermann von Helmholtz, Ogden Rood et surtout Eugène Chevreul dont l’ouvrage sur le contraste simultané sera réédité en 1889 – sur la physiologie de la vision, les problèmes de la lumière et de la couleur.

C’est une tâche difficile que celle d’apprivoiser la nature par la division de la touche et le jaillissement de la couleur pure, et de la traduire en image selon des lois optiques sans tomber dans un système stérile. Ou, comme le craint Cross : « J’ai une tendance trop grande à m’enfermer dans les limites d’une théorie séduisante. Il faut arriver à en jouer. »

« Une matière en éveil »

Une crainte injustifiée, car l’exposition au Musée de l’Annonciade, organisée par Marina Ferretti, montre tout le talent de Cross pour le paysage – la beauté sereine de la Plage de la Vignasse, 1891-1892 (voir ill.). Toutefois, cette volonté d’harmonie va se transformer lentement. Ainsi, l’artiste appliquera des touches plus larges, des couleurs contrastées, faisant naître la sensation d’une matière en éveil (Le Naufrage, 1906-1907). Le fauvisme pointe déjà. Les œuvres suivantes sont moins réussies, dans lesquelles Cross introduit des nus – essentiellement des femmes –, des bacchanales un peu mièvres (La Forêt, 1906-1907). Il n’est pas donné à tout le monde de réaliser Luxe, calme et volupté (Henri Matisse). Pourtant, les 80 travaux sur papier, réunis grâce à un admirateur de Cross, Raphaël Dupouy, responsable de la villa Théo au Lavandou, ne manquent pas de virtuosité. La visite de ce lieu, proche de la maison que l’artiste s’était fait construire, permet de découvrir son jardin secret.

Edmond Cross dans la lumière du Var, « le plus beau pays du monde »,
jusqu’au 14 novembre, Musée de l’Annonciade, 2, place Georges-Grammont, 83990 Saint-Tropez.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°617 du 22 septembre 2023, avec le titre suivant : Cross dissèque la couleur

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