NEUCHÂTEL ET LA CHAUX-DE-FONDS / SUISSE
Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds s’associent pour une exposition consacrée aux romantiques Léopold et Aurèle Robert.
Neuchâtel, La Chaux-de-Fonds (Suisse). La mort plane sur le nom du peintre Léopold Robert, dont la postérité a surtout retenu la fin tragique un jour de printemps à Venise en 1835. Les musées de Neuchâtel et de La Chaux-de-Fonds rendent conjointement hommage à cet enfant du pays, aujourd’hui quelque peu oublié, né en 1794 dans une famille d’horlogers dans le Jura suisse. Dans sa peinture de facture lisse où le romanesque le dispute au drame, la mort est déjà omniprésente comme moyen d’exorciser la mélancolie lancinante de l’artiste : religieuse ou ermite mourants, veillées mortuaires d’enfants, nourrissons agonisant dans les bras de leur mère ponctuent le parcours tout comme nombre de figures ensommeillées ou évanouies.
Léopold Robert avait pourtant tout pour réussir, et son parcours prometteur commence sous les meilleurs auspices : admis à l’école des beaux-arts de Paris en 1811, élève dans l’atelier de David en 1812, Second Prix de Rome pour la gravure en 1814, médaille d’or au Salon de Paris en 1822. Il s’établit à Rome à partir de 1818 grâce au soutien d’un mécène neuchâtelois. Cette Italie où il vit jusqu’à sa mort est au cœur de son œuvre, constituée de portraits, de vues d’églises mais surtout de scènes de genre avec un thème de prédilection, celui des brigands et hors-la-loi. C’est une Italie de folklore et du pittoresque, habitée de figures de caractère aux canons de beauté néoclassique et aux traits graves, qui fascinait le peintre. Collectionneur de costumes régionaux dont il rend avec maîtrise la matérialité des étoffes, il offre une version idéalisée du petit peuple italien.
L’originalité et la réussite de l’exposition est de démultiplier les perspectives sur l’œuvre du peintre jurassien : des parcours sur deux sites font s’entrecroiser et se répondre chronologie et thématiques ; ses peintures sont associées à celles de son frère Aurèle, le fidèle et talentueux assistant resté dans son ombre ; le mécanisme de production et de diffusion est mis en lumière – commandes, copies, répliques, falsifications de ses tableaux illustrent son succès et la production quasi industrielle de l’artiste pour lequel on compte jusqu’à 26 reprises d’un même motif.
L’enjeu de cette rétrospective en près de 300 œuvres est à la hauteur de la gloire passée d’une œuvre dont le succès, au XIXe siècle, dépassa de loin les frontières de son canton natal. L’amertume et le sentiment d’échec habitèrent néanmoins l’ambitieux peintre, destiné à la peinture d’histoire, auteur d’un cycle des « Saisons » dont trois sur quatre seront achevées (point d’orgue de sa carrière et des expositions jurassiennes) et qui ne produisit finalement « que » de la peinture de genre. Or, histoire du goût oblige, son œuvre est à replacer dans un contexte particulier, celui où « l’Antiquité n’est plus saisie dans les ruines de Rome ou de la Grande Grèce », mais « se donne à voir, toute vivante, chez ces autochtones en qui l’on reconnaît les héritiers naturels de ces anciens peuples », écrit Pascal Griener dans le catalogue. Et c’est ainsi que la peinture de genre de Robert acquiert ses lettres de noblesse.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°615 du 7 juillet 2023, avec le titre suivant : Les Robert, des peintres à redécouvrir