Filippo Lippi et Filippino Lippi ont marqué l’art de la Renaissance italienne, Filippo ayant formé Sandro Botticelli, lequel forma son fils Filippino.
Rome. Tel père, tel fils. Ou presque. Filippo Lippi (1406-1469) et Filippino Lippi (1457-1504) ont œuvré entre Florence et Rome au moment de l’Âge d’or de l’art de la Péninsule. Claudia La Malfa, l’une des plus grandes spécialistes de l’art italien des XIVe et XVe siècles, est la commissaire de l’exposition « Ingéniosité et bizarreries dans l’art de la Renaissance » organisée par les Musées du Capitole de Rome.
Celle-ci s’ouvre avec la célèbre Madone Trivulzio, œuvre de jeunesse de Filippo Lippi peinte entre 1429 et 1432 pour son propre couvent. Orphelin dès son plus jeune âge et issu d’un milieu modeste, il y est en effet placé chez les frères du couvent des Carmes de Florence. Mais sa vocation est artistique et non religieuse. Grâce à son talent, il réussit à travailler pour Cosme de Médicis, mais également pour son fils Pierre Ier de Médicis. Autant de mécènes qui l’aideront à faire oublier son existence jugée trop dissolue par les autorités ecclésiastiques qui peinent à tolérer ses frasques. Filippo Lippi enlève en effet la religieuse Lucrezia Buti qui lui donne deux enfants dont l’aîné est Filippino. « Il suffit d’observer la Madone Trivulzio, explique Claudia La Malfa. Le jeune frère en herbe à gauche de la Vierge est, pour le spectateur, un autoportrait de l’artiste qui s’est représenté sous l’aspect d’un sympathique “guitto” [comédien au jeu excessif]. » Une expression que l’on retrouvera dans d’autres autoportraits où il apparaît d’âge mûr, mais toujours habillé en soutane. Car l’ironie est un ingrédient fondamental de l’art de Lippi, ainsi que de sa vie, soutenue par une ingéniosité étonnante, comme le souligne le titre de l’exposition.
Les « bizarreries » se réfèrent plus à celles de son fils Filippino, qui arrive à Rome en 1488. Envoyé par Laurent le Magnifique pour décorer la chapelle du cardinal Oliviero Carafa dans l’église Santa Maria sopra Minerva, il fut submergé par la richesse de la ville et par la magie des grotesques de la Domus Aurea ». Filippino Lippi fut parmi les premiers à descendre dans ces grottes souterraines au moment de la découverte de la villa des Néron.
L’exposition est modeste, elle occupe un espace réduit au sein du palazzo Caffarelli jouxtant les musées du Capitole. Les toiles et les dessins présentés au public sont cependant d’une grande qualité ; outre la Madone Trivulzio, sont exposés un dessin préparatoire du chantier de la décoration de la chapelle Carafa, récemment découvert par Claudia La Malfa à la Galleria dell’Accademia de Venise, mais aussi deux Annonciations des années 1483-1483 de Filippino Lippi provenant du Musei Civici de San Gimignano ou encore une Mort de Lucrèce prêtée par le palais Pitti (Florence). Les Offices de Florence et la Fondation Giorgio-Cini de Venise ont de leur côté fait parvenir à Rome des œuvres de son père. L’exposition est le fruit également d’une importante collaboration avec la Pinacothèque de l’Accademia Albertina de Turin et l’Istituto Centrale per la Grafica de Rome.
Filippo Lippi partage avec Fra Angelico et Domenico Veneziano le raffinement et l’éclectisme qui lui permettent de mettre à profit l’enseignement des grands maîtres : ses contemporains, Donatello, et en particulier, Masaccio qu’il a pu voir travailler au couvent du Carmel de Florence. Ses influences seront au fil de sa carrière des plus variées, s’enrichissant d’idées issues du monde qui l’entoure avec un regard vers les sculptures de Donatello, Brunelleschi, Nanni di Banco et Luca Della Robbia. Il assimilera par la suite les leçons de la peinture flamande. Les figures élancées qui caractérisent son œuvre, se découpant dans des poses raffinées et dynamiques sur des fonds audacieusement raccourcis en profondeur, seront habilement observées par certains des peintres qu’il forme à l’instar de Sandro Botticelli. « À travers les œuvres exposées de Lippi père, on voit prendre corps, façonnées par la couleur et la lumière, les figures solides et monumentales typiques de son art qui s’inspire de la coupole de Brunelleschi pour la cathédrale Santa Maria del Fiore, de la force de Donatello et du plasticisme de Masaccio », précise Claudia La Malfa.
Lippi fils en revanche doit beaucoup à Botticelli dans l’atelier duquel il entre en 1465. Il y reprend le style linéaire du Maestro dont la renommée éclipsera injustement la sienne. Car son talentueux élève fit ressortir le caractère irréel des scènes représentées par des figures allongées et une grande richesse de détails. Sa peinture accompagne l’évolution qui s’est produite à la fin du XVe siècle à Florence lorsque l’équilibre et la pureté linéaire des œuvres cèdent le pas à une exaspération expressive qui débouchera bientôt sur le maniérisme. L’exposition rend hommage à cet extraordinaire cas de filiation artistique si fertile pour l’art de la Renaissance.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°635 du 7 juin 2024, avec le titre suivant : Les Lippi à l’honneur aux musées du Capitole