Rétrospective

Les « joujoux » d’Alexander Calder

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 31 mars 2009 - 829 mots

Le Centre Pompidou expose les années parisiennes du sculpteur américain. Une expérience plastique inclassable.

PARIS - La galerie 2 du sixième étage du Centre Pompidou, à Paris, n’avait pas respiré aussi bien depuis longtemps, avec la présentation des œuvres réunies ici dans une scénographie rythmée et une belle atmosphère lumineuse. La profonde singularité formelle de l’œuvre d’Alexander Calder (1898-1976) n’en demande pas moins, tant elle est capable avec une liberté et une économie jubilatoires d’emprunter à tous les vocabulaires, de la haute culture à la culture populaire, de la statuaire à la performance, de l’objet à l’image, du portrait familier au mythe, de l’installation au tableau… C’est donc à la fois l’immédiateté des œuvres et leur ancrage dans une histoire du siècle, qui fait de cette exposition, au gré d’un parcours resserré, une visite tout public.

La concentration historique autour d’une période brève (Calder a 28 ans quand il arrive en 1926 en France, qu’il quitte en 1933) reste fondée sur le modèle convenu de la biographie : petit Calder fils de sculpteurs, petit Calder et son chat, petit Calder bricoleur précoce… Après une formation en génie mécanique dont il est diplômé en 1919, Sandy Calder prend la décision en 1923 de devenir artiste, s’inscrit à l’Art Students League à New York et entame une carrière de dessinateur-illustrateur dès 1924. Cette activité le met face au monde de la rue, du spectacle, de la société, et l’on y retrouve son intérêt pour le cirque, le zoo, le mouvement moderne, ou encore pour le portrait de société, la caricature, avec ce ton de chroniqueur malicieux de son temps. Et bien sûr l’efficace du dessin, comme mode de fixation de la « première pensée ». L’exposition suit le fil biographique pour faire apparaître l’artiste prêt à donner forme à une expérience plastique inclassable, entre bricolage, sens de la vision et liberté d’inspiration dont témoigne Le Cirque (1926-1931). Tout cela étant porté par un appétit de travail et d’expérience, et par une familiarité certaine du monde de l’art. D’où les charmantes et déjà fortes pièces des années 1925-1930 présentées dans la troisième salle, où l’écriture au fil de fer fait passer Calder dans le volume. Et rejoindre les préoccupations des artistes installés alors à Paris. C’est ce qui rend attachant pour le regard savant aussi cette période féconde : on y lit une intelligence peu commune des enjeux les plus exigeants de son temps. Calder prend et donne, déterminé et indépendant dans son travail autant qu’attentif à ce qui résonne autour de lui. Sa sculpture de vide aura marqué un Julio González, un Picasso. Il décrit sa rencontre avec Mondrian comme une marque profonde. Très bon organisateur de sa carrière, il expose très vite à Paris, en Europe et aux États-Unis.

Le passage vers la cinquième salle qui réunit deux années « abstraites » atteste une recherche ouverte, qui n’a rien perdu de l’esprit singulier même sous la bannière théorique d’Abstraction-Création, un groupe rejoint en 1931. Le mur de peintures abstraites – six huiles de 1930 – apparaît profondément imprégné de l’avant-garde picturale du moment, mais aussi de la familiarité avec Miró, alors qu’est tracée en vis-à-vis, dans la même salle, la voie vers les Mobiles et Stabiles. Les structures métalliques motorisées de 1931 s’imposent pour le regard d’aujourd’hui comme des paradigmes de modernité. Et quand, en 1932-1933, les volumes prennent corps, dans la période dite « biomorphique », ce sont ce dynamisme, cette ambiguïté entretenue entre facétie et gravité qui font reconnaître définitivement Calder, devenu, comme le note Joan Simon dans le texte du catalogue, un « artiste d’envergure internationale et la figure marquante de la sculpture du XXe siècle ». Une installation avant la lettre comme Small Sphere and Heavy Sphere (1932-1933), qui conclut cette partie du parcours, condense ce qui, dans l’œuvre, appartient à son temps tout en se montrant aussi incroyablement annonciateur.

La galerie du musée présente un espace plus convenu de vitrines, même si y sont contenus des œuvres et documents essentiels. Qui voudrait repartir du Centre avec le souffle calderien intact devrait commencer ici son parcours, avant de poursuivre par les « joujoux augmentés » (Calder) qui composent « Les années parisiennes ».

Conçue avec le Whitney à New York, dotée de prêts remarquables de la Fondation Calder, l’exposition est accompagnée d’un catalogue qui, tout scientifique qu’il soit, permet de retrouver ce ton de « rire latent » (A. Jouffroy) qui traverse l’œuvre.

Calder, Les années parisiennes, 1926-1933, jusqu’au 20 juillet, Centre Pompidou, galerie 2, 6e ét., galerie du Musée, 4e ét. ; Quel cirque !, exposition-atelier, Galerie des enfants, www.centrepompidou.fr, tlj sauf le mardi 11h-21h. Catalogue, coéd. Centre Pompidou/Whitney Museum, 420 p., 300 ill., 39,90 euros, ISBN 978-2-84426-354-4 ; DVD Le Grand Cirque de Calder, un film de Jean Painlevé (1955).

Calder
Commissariat : Brigitte Léal, conservatrice au Musée national d’art moderne ; Joan Simon, curator-at-large, Whitney Museum of American Art, New York
Nbre d’œuvres : plus de 300 (sculptures, peintures, dessins, jouets, photographies, films)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°300 du 3 avril 2009, avec le titre suivant : Les « joujoux » d’Alexander Calder

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