C’est autour de la notion de dédicace, à un créateur ou à un événement, que le Kunstmuseum de Bâle a conçu son exposition de l’artiste du néon.
Bâle (Suisse). Une fois n’est pas coutume, les gardiens du Kunstmuseum de Bâle portent des lunettes noires. Si le visiteur peut en être de prime abord surpris, il réalise rapidement la nécessité de se protéger les yeux, non pas de la lumière du soleil qui ne pénètre pour ainsi dire pas dans les salles opaques de la récente extension du musée bâlois, mais bien des rayonnements des installations en néon de Dan Flavin. Des installations ? Non, des « situations ». C’est ainsi que l’artiste américain, né en 1933 et décédé en 1996, aimait à décrire ses créations en tubes lumineux colorés. L’exposition de Bâle a réuni un certain nombre de ces sculptures de lumière dont l’artiste autodidacte met au point le procédé à partir de 1963. C’est à cette date qu’il installe un tube fluorescent dans son atelier et, très vite, son geste radical, celui de porter un objet de production industrielle au rang d’œuvre d’art, est replacé dans le courant de l’art minimal, ou minimalisme, qui apparaît aux États-Unis dans la décennie 1960. Flavin en devient même un représentant par excellence – et ce bien qu’il ne se soit jamais vraiment identifié à ce mouvement.
D’une salle à l’autre, les ambiances colorées se succèdent donc, les formes des constructions aussi. Mais il y a un point commun entre toutes ces œuvres présentées que les commissaires de l’exposition ont voulu mettre en valeur : l’hommage de Dan Flavin à d’autres artistes ou à des événements historiques. Le propos résonne particulièrement bien ici car dans la cour du Kunstmuseum de Bâle se trouve l’installation au néon en mémoire à l’artiste suisse de la Renaissance Urs Graf Untitled (in Memory of Urs Graf) que Flavin réalisa en 1975 pour l’exposition qu’il présentait conjointement à la Kunsthalle et au Kunstmuseum de Bâle. Recevant d’abord un accueil mitigé de la part de la population bâloise, l’œuvre est finalement achetée cinq ans plus tard. Pourquoi une dédicace à un orfèvre, graveur, dessinateur et mercenaire suisse mort à Bâle en 1529 ?
Amateur et collectionneur de dessins, Flavin avait même exposé une sélection personnelle de l’œuvre de Graf à côté de ses propres dessins dans le cadre de l’exposition. De manière surprenante, on découvre donc un artiste qui, loin de renier ses pairs artistiques, puise une inspiration toujours renouvelée dans des œuvres architecturales, littéraires ou artistiques. Ses contemporains, amis et artistes, Donald Judd et Jasper Johns figurent en tête de ces dédicaces. Mais Henri Matisse, Guillaume Apollinaire, ou encore le peintre, sculpteur et verrier allemand Otto Freundlich mort en déportation et dont l’œuvre abstraite fut qualifiée de dégénérée par les nazis, sont les sujets des œuvres au néon présentées. À noter tout particulièrement, quelques pièces issues de la série « “Monument” for V. Tatlin » que Flavin produit entre 1964 et 1990 et qui compte 50 œuvres au total. Flavin réduit les lignes de ces monuments – construits ou restés à l’état d’ébauche - à quelques arrangements de tubes fluorescents. Le seul Monument à la IIIe Internationale que Tatline a projeté en 1919-1920 a fait l’objet d’une multitude de variations en couleur de lumière blanche par Flavin.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°635 du 7 juin 2024, avec le titre suivant : Les discrets récits de Dan Flavin