PARIS
Les installations de l’artiste franco-argentin investissent la Maison de l’Amérique latine et étendent leurs formes qui semblent s’animer, dessinant ainsi un univers singulier.
PARIS - Dans quelle catégorie ranger une chaise sur laquelle on ne peut pas s’asseoir ? Une sculpture ? Comment nommer une sculpture lumineuse aux allures de lampadaire ? Une pièce de design ? À défaut de donner une réponse – cela n’a jamais été son propos – Pablo Reinoso (né en 1955 à Buenos Aires, il vit à Paris) a plutôt toujours posé la question de la frontière entre la sculpture et le design. Toute sa démarche consiste à se demander à partir de quel moment un objet détourné de sa fonction passe d’une discipline à l’autre ou inversement. Ainsi énoncée, la problématique pourrait aujourd’hui paraître presque banale. Mais en ayant décidé, depuis ses débuts en 1973, de faire tomber les cloisons et de mêler les genres, Reinoso a toujours fait figure de pionnier. Et quelquefois d’incompris, ce qui n’est évidemment plus le cas aujourd’hui où de nombreux artistes s’interrogent sur la notion de frontière entre différentes pratiques artistiques.
Le reflet d’un espace basculé
Bouleverser l’ordre des choses et mettre le monde sens dessus dessous : c’est bien ce que propose son exposition à la Maison de l’Amérique latine. Elle est d’ailleurs intitulée « Un monde renversé » et de ce point de vue elle commence bien, puisqu’elle met d’entrée le premier espace cul par-dessus tête. Il faut en effet lever les yeux pour découvrir accrochées à l’envers, au plafond, une table et deux chaises complétées par le lustre du lieu. Comme une mise en abîme du travail de Reinoso : le lustre, objet de décoration qu’il n’a pas réalisé, devient un chandelier de table ; cette dernière réalisée de sa main mais qui, de par sa position, n’est plus une table mais une installation. Et ce n’est pas l’œuvre suivante, Milonga, qui va nous remettre la tête à l’endroit. Cette fois ce sont deux paires de chaussures qui se font face. La première, masculine est prolongée par des lattes de bois. La seconde, féminine, par une queue-de-cheval, en fibre végétale, celle-là même qui sert au cannage de chaise : des matériaux qu’on retrouve le plus régulièrement dans les œuvres de l’artiste. L’ensemble évoque un pas de tango, qui fait d’autant plus tourner la tête que les chaussures sont accrochées au mur, comme si le sol s’était mis à la verticale. On retrouve ce basculement de l’espace, à 90° puis à 360° avec une autre installation Ashes to Ashes. Là, c’est une chaise, l’objet fétiche de Reinoso, qui est mise à l’équerre sur un mur et une autre suspendue les quatre pieds en l’air au plafond ; ce même plafond dont les lattes se délitent et vont s’engouffrer une à une dans une cheminée. Cette liberté introduit immédiatement à un Banc spaghetti, ces fameux bancs qui ont assis la réputation de l’artiste. Un banc dont les lattes de bois ont décidé de continuer à pousser comme si la nature reprenait le dessus, comme si leur arborescence était naturelle, virtuellement infinie, prête à tout envahir. De la vie et du souffle, les œuvres de Pablo Reinoso n’en manquent pas comme en témoigne encore ce Monochrome respirant, composé de coussins qui s’animent, se gonflent et dégonflent sous l’effet d’un petit ventilateur d’ordinateur.
L’humour en point d’orgue
Outre la qualité des œuvres sélectionnées, la réussite de l’exposition repose sur la variété des propositions, des formes, des matériaux. Et également des périodes de réalisation, puisqu’on découvre aussi bien ce grand Paysage d’eau en marbre noir et charbon de bois (de 1982), que deux sculptures monumentales en extérieur, l’une dans le jardin et l’autre toute récente Le banc Saint-Germain, spécialement réalisée pour la cour donnant sur le boulevard éponyme. Un immense banc circulaire qui donne une grande souplesse à ses lignes pourtant en acier comme s’il jouait du lasso. Un joli pied-de-nez qui témoigne une fois de plus et dans la lignée de cette énergie vitale, de la récurrente dimension humoristique de l’œuvre de Reinoso. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la vidéo qu’il a tournée avec la danseuse Blanca Li en train de s’empêtrer ou se dépêtrer de quelques-unes des chaises impraticables de sa magnifique série « Thoneteando ». Hilarant, d’une grande finesse et à tomber le cul par terre, cette fois.
Commissaire : Jérôme Sans
Nombre d’œuvres : 15 sculptures et 20 dessins
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Les détournements d’usage de Pablo Reinoso
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 5 septembre, Maison de l’Amérique latine, 217 boulevard Saint-Germain, 75007 Paris, tél. 01 49 54 75 00, www.mal217.org, lundi-vendredi 10h-20h, samedi 14h-18h, fermeture du 31 juillet au 17 août, entrée libre.
Légende photo
Pablo Reinoso, Retour végétal, 2015, bois sculpté et acier, et Milonga, 2015, chaussures, bois et fibre naturelle. © Photo : Rodrigo Reinoso.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°438 du 19 juin 2015, avec le titre suivant : Les détournements d’usage de Pablo Reinoso