Claire et pertinente, l’exposition du MoMA recense la richesse et la diversité
de l’architecture latino-américaine d’après-guerre.
NEW YORK - La somme est copieuse tout en étant particulièrement légère et digeste à la fois. Elle constitue surtout ce qu’il y a de plus excitant à voir depuis plusieurs mois au Museum of Modern Art (MoMA), à New York, embourbé dans une programmation récente pas folichonne, entre une ridicule exposition dédiée à Björk, une pâlotte rétrospective Yoko Ono, ou l’hiver dernier une exposition attendue mais ratée sur la peinture actuelle.
Dresser un panorama des fantastiques innovations et mutations architecturales et urbaines connues par le continent latino-américain après la Seconde Guerre mondiale est pourtant une tâche d’envergure, mais « Latin America in Construction : Architecture 1955-1980 », organisée sous la houlette du conservateur pour l’architecture du musée, Barry Bergdoll, fait mieux que s’en sortir honnêtement. D’abord parce que malgré sa richesse et sa complexité, le sujet est traité avec une confondante légèreté qui n’est que de surface et au profit du visiteur.
Problématiques documentées
D’emblée, avec des films juxtaposés assemblant des images d’archives, sont replacés les contextes historiques propices aux développements à venir de chacune des villes importantes de la région : Mexico ou São Paulo bien entendu, mais aussi Montevideo, Caracas ou La Havane. Qui se souvient qu’au nombre de ces folles mégalopoles, Buenos Aires fut la première à atteindre une population d’un million d’habitants, et ce dès le milieu des années 1920 ?
Ensuite, car le reste de l’exposition est développé thématiquement, avec partout une grande qualité des quelque 500 documents qui la peuplent et convient à s’y perdre avec bonheur – photos, plans, maquettes, notes, correspondances, archives audiovisuelles… –, et démontrent que, manifestement, les commissaires ont longuement écumé les archives de tous les grands musées et bibliothèques universitaires de la région. Sont ainsi explorées des problématiques relatives à la maison individuelle et à l’habitat collectif, à la planification urbaine et à la question de la hauteur ou encore au paysage.
Redoutablement intéressant est le fait que la pensée du développement urbain dans la région s’est pour une grande part inspirée des initiatives universitaires menées dès la fin des années 1930, notamment en Colombie (Bogotá) et au Chili (Concepción), avec l’organisation de nouveaux campus pensés telles des villes idéales. Ce qui, dès les années 1940, conduit à la naissance de véritables « villes universitaires », dont les principaux exemples demeurent l’Université centrale du Venezuela (UCV) à Caracas et surtout l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM) au sud de Mexico, qui demeure de par son étendue, son plan et sa véritable autonomie – les forces de l’ordre ont par exemple interdiction d’y pénétrer, seule l’armée le peut en cas de trouble grave – un exemple unique.
Un continent en mouvement
Le fait que, relativement à tous les propos abordés, ne soient pas montrées que des icônes et des architectes stars venant cacher la forêt d’un développement effréné est notable. Bien entendu sont évoqués des emblèmes comme la Bibliothèque nationale de Buenos Aires ou le programme de Brasília, mais sont visibles également le projet fou d’un hôtel pour le Machu Picchu (Pérou) par Miguel Rodrigo Mazuré en 1969, le Museo de Arte de Ciudad Juárez (Mexique) de Pedro Ramírez Vázquez en 1964 ou les immeubles d’habitation Building for Seguro Médico, édifiés à La Havane par Antonio Quintana (1956-1958). La liste est longue…
Par-delà sa grande diversité, il ressort de l’ensemble (pour simplifier à gros traits) une synthèse entre une esthétique brutaliste, consécutive de l’usage massif du béton, alliée à une recherche formelle à la fois radicale, rigoureuse et sensuelle, qui donne naissance à une très grande variété et complexité de propositions. Il faut enfin noter la belle publication accompagnant le projet. À l’inverse de l’exposition, le catalogue n’est pas thématique, mais organisé par pays, ce qui le rend très pratique à consulter et permet de se plonger longuement dans les projets phares ou pas d’une région toujours en mouvement constant.
Commissariat : Barry Bergdoll, Carlos Eduardo Comas, Jorge Francisco Liernur, Patricio del Real
Nombre de documents : plus de 500
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Les mutations de l’Amérique latine
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 19 juillet, Museum of Modern Art, 11 West 53 Street, New York (États-Unis), tél. 1 212 708 9400, www.moma.org, tlj sauf mardi 10h30-17h30, vendredi 10h30-20h, entrée 25 $. Catalogue éd. MoMA, 320 p., 65 $.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°438 du 19 juin 2015, avec le titre suivant : Les mutations de l’Amérique latine