Art moderne

BELLE ÉPOQUE

Leonetto Cappiello, le caricaturiste virtuose

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 24 juin 2024 - 684 mots

Plus connu pour ses affiches, l’Italien était un caricaturiste hors pair comme le démontre le Musée de l’Isle-Adam.

Leonetto Cappiello, Polaire à la Scala, 1900, publié en quatrième de couverture dans Le Rire, n°284, le 14 avril 1900 et reprise dans Le Théâtre, n° 104, avril II 1903, p. 27, mine de plomb, fusain, pastel et aquarelle sur carton, 30 x 23 cm. © Atelier Cappiello
Leonetto Cappiello (1875-1942), Polaire à la Scala, 1900, mine de plomb, fusain, pastel et aquarelle sur carton, 30 x 23 cm.
© Atelier Cappiello

L’Isle-Adam. Les amateurs d’art publicitaire connaissent bien Leonetto Cappiello (1875-1942), cet Italien qui a révolutionné l’art de l’affiche dans la France de la Belle Époque. Son secret ? Chercher la tache, qui « à grande distance, accrochera le regard du passant », déclarait-il dans le numéro de décembre 1906 du magazine La Publicité moderne. Ce ne sont pas les affiches que présente le Musée Louis-Senlecq mais les caricatures, beaucoup moins connues bien qu’elles aient toutes ou presque été publiées entre 1898 et 1905.

Il a été facile aux commissaires, Caroline Oliveira et Nicholas-Henri Zmelty, de réunir la centaine d’œuvres (dont trois sculptures), inédites pour la plupart, qu’ils présentent : les petits-enfants du peintre, attachés à la ville de L’Isle-Adam où leur grand-père se rendait en villégiature tous les étés dans les années 1920-1930, leur ont proposé de les choisir dans leur très riche fonds, l’Atelier Cappiello. À leurs dessins ont été ajoutées quatre peintures du Musée d’Orsay très rarement montrées. Dans le parcours ainsi construit se succèdent actrices et acteurs de l’époque (Sarah Bernhardt brille dans un espace qui lui est réservé), stars du music-hall (dans ce domaine, c’est Yvette Guilbert qui fait l’objet d’un focus) et de l’opéra, et enfin hommes de lettres.

En début d’exposition sont présentées quelques affiches dites « caricaturales » vantant des spectacles. Cappiello a merveilleusement saisi le chic canaille de Réjane, la respectabilité affichée par l’actrice et demi-mondaine Hélène Chauvin et l’élégance pleine d’esprit d’Odette Dulac. Toutes sourient, tout comme Louise Balthy dansant sur l’affiche avant la lettre d’Une revue aux Folies-Bergère (1902). La finesse de sa silhouette, son élégance, son humour ravageur et son entrain en avaient fait l’une des coqueluches de Paris. Cette femme laide portant, à la mode du temps, un petit chignon boule au sommet de la tête était spécialisée dans la chanson rosse. Cappiello, qui l’a dessinée tout en courbes, en exalte l’énergie et l’intelligence.

Exagérer le trait pour mieux croquer

Cette sympathie pour ses modèles (qui se pressaient pour se faire croquer) est sa marque de fabrique, combinée à un style épuré ne laissant subsister qu’une ligne en arabesque et quelques aplats de couleurs. Le visage est réduit à un sourire, à la ligne du nez et des sourcils et à deux traits ou deux points pour les yeux. Dans Le Temps du 4 janvier 1903, Joseph Galtier consacrait un article aux débuts de Cappiello. Celui-ci lui confiait : « Les femmes ne me paraissent pas traitées comme elles le méritent. Je ne pensais pas qu’il fût nécessaire pour les caricaturer de déformer leurs traits, de les enlaidir ou de les embellir, de rajeunir les vieilles ou de vieillir les jeunes. Non, l’essentiel consistait, pour moi, à garder et à mettre en lumière leur type, leur caractère, leur ligne et quelquefois aussi leur couleur. La caricature devient ainsi non pas la déformation, mais l’exagération du trait ou des traits dominants. […] La caricature met en lumière l’expression d’un trait plutôt que le trait lui-même. Granier, je la représente avec de grands yeux – voyez ces lignes noires – et cependant ses yeux, en réalité, sont plutôt petits et vifs. Mais quelle mobilité, quelle vie ! [..] Mellot, au contraire, a de grands yeux noirs ; je les représente avec un point, c’est tout. Ce que j’ai rendu, c’est le regard profond, pénétrant, un de ces regards impérieux qui commandent l’attention. » Et le rédacteur de poursuivre : « La façon de travailler de Cappiello n’est pas banale. Au théâtre, son crayon à la main, il dessine sur une page une simple ligne, c’est un bras ; sur un autre feuillet, un point et c’est un regard ; cette courbe, c’est l’envolement d’une jupe. Rentré chez lui, il travaille jusqu’à quatre heures du matin, sous l’impression encore vive de ce qu’il vient de voir. »

Étourdissant catalogue des gloires du temps, l’exposition montre ce labeur de la nuit en mettant côte à côte les différentes étapes pour parvenir à l’épure qui sera publiée. Une plongée passionnante dans l’art d’un très grand dessinateur aujourd’hui méconnu.

Cappiello caricaturiste, 1898-1905,
jusqu’au 22 septembre, Musée d’art et d’histoire Louis-Senlecq, 31 Grande-Rue, 95290 L’Isle-Adam.
Dès 1 euro, abonnez-vous au site LeJournaldesArts.fr

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°636 du 21 juin 2024, avec le titre suivant : Leonetto Cappiello, le caricaturiste virtuose

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