Art moderne

L’affiche, une seconde vie après la rue

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 29 septembre 2008 - 740 mots

Le marché de l’affiche a connu un engouement saisissant au XIXe siècle. Sortie des placards, celle-ci jouit d’une seconde jeunesse depuis trente ans.

Instrument de revendication ou de propagande politique dans les années 1920 ou 1960, l’affiche reflète l’évolution des mœurs et des modes. L’essor industriel du xixe siècle, favorisant la consommation de masse et la publicité, a fait de l’affiche son bras armé.
Épousant les colonnes Morris ou tapissant les murs libérés grâce à la loi de juillet 1881 réduisant les restrictions d’affichage, les placards illustrent alors tous les pans de la vie citadine, du music-hall au tourisme. Toulouse-Lautrec, Jules Chéret, Mucha, Théophile Alexandre Steinlen et Leonetto Cappiello, comptent parmi les représentants les plus adulés de l’affiche 1900. L’Art déco connaît, lui, ses heures de gloire avec Cassandre, chef de file de l’école française de l’entre-deux-guerres.

L’intérêt pour le style Art nouveau
Ce médium s’accompagne vers 1891 d’une « affichomanie ». Cette collectionnite aiguë est soutenue par des tirages hors commerce et des librairies spécialisées comme Edmond Sagot, ancêtre de l’actuelle galerie Documents, rue de Seine à Paris. La flamme faiblit à l’orée du xxe siècle avant de se raviver dans les années 1970. Si l’affiche a alors profité de la réhabilitation de l’Art nouveau, elle n’a en revanche pas pâti de la défaveur que connaît aujourd’hui le style nouille.
Considéré comme le père de l’affiche moderne, Jules Chéret se distingue vers 1889 avec la « Chérette », une jeune donzelle capable de vanter les mérites de n’importe quel produit, des pastilles Géraudel au quinquina Dubonnet. D’abord peu colorée, sa palette s’enrichit au fil du temps tandis que ses formats s’agrandissent. On répertorie plus de mille affiches de Chéret, la plus célèbre, réalisée pour le Moulin-Rouge, représentant une cavalcade de petites bonnes femmes à l’assaut des moulins.
L’affiche n’a pas laissé indifférents des artistes « pur jus » comme Henri de Toulouse-Lautrec et Pierre Bonnard. Bohème noctambule, Lautrec est un habitué du Moulin-Rouge et un fin observateur de ce monde interlope. Son regard aigu tranche avec le côté gentillet de Chéret. « Lorsque Charles Zidler, patron du Moulin-Rouge, lui commande une affiche, Lautrec a l’idée d’une composition centrée non sur la publicité mais sur le spectacle. On reconnaît notamment son côté provocateur dans le mouvement de la danseuse au premier plan », précise la spécialiste Florence Camard.
Une affiche représentant la Goulue au Moulin-Rouge peut valoir entre 75 000 et 80 000 euros – un spécimen a déjà atteint 152 450 euros à Orléans en 2000. Toulouse-Lautrec a toujours valu cher puisque, en 1977, Florence Camard a vendu pour 9 000 francs (1 370 euros) une autre de ses affiches intitulée La Troupe de Melle Églantine. Un exemplaire vaudrait aujourd’hui environ 20 000 euros.

L’importance du sujet
Contrairement à l’estampe traditionnelle, la rareté en matière d’affiches n’est pas liée au volume du tirage, mais à ce qui a survécu. Bien qu’imprimés à un faible nombre d’exemplaires, les spécimens Art nouveau sont abondants car jalousement gardés. En revanche, ceux de l’entre-deux-guerres, rapidement relégués aux oubliettes, sont moins nombreux.
La rareté elle-même passe après l’état de conservation. Les restaurations entraînent souvent une décote de 10 % sur les exemplaires très rares, 20 % sur des pièces plus courantes. De même, les marges coupées génèrent un couperet d’environ 25 %.
À ces critères s’ajoute une donnée importante : le sujet. Les affiches qui excitaient autrefois l’imaginaire ou ouvraient les appétits font toujours mouche aujourd’hui. À croire que le regard ne change pas ! Théophile Alexandre Steinlen est ainsi plus apprécié pour ses images du cabaret le Chat Noir que pour ses affiches militantes plaidant la cause des déshérités. De même, les affiches de la Première Guerre mondiale, conservées avec dévotion par certains poilus, ne font guère les choux gras du marché.

Repères

Chéret (1836-1932) : Manet l’avait surnommé le Watteau des rues. Jules Chéret doit son succès à sa figure de la « Chérette », une jeunette accorte et tourbillonnante, et à des tonalités joyeuses dominées par le jaune.

Toulouse-Lautrec (1864-1901) : ses affiches brillent par leur insolence, leur sens de la synthèse et leur spectre de couleurs réduit. Les plus célèbres sont celles réalisées pour le Moulin-Rouge et pour la Revue blanche.

Bonnard (1867-1947) : son affiche de 1894 pour la Revue blanche est sans doute la plus réputée. Dépourvue de perspectives, composée de nombreux aplats, celle-ci reste une énigme car, il est difficile de différencier les personnages qui la composent.

Questions à... Mireille Romand; directrice de la galerie Documents

Pourquoi des artistes prestigieux se sont-ils adonnés à l’affiche ?
L’affiche a donné une énorme liberté aux artistes. Elle leur a permis de sortir des codes de l’académisme. Pour un personnage aussi iconoclaste que Toulouse-Lautrec, voir ses images descendre dans la rue procurait un plaisir fou. L’affiche sort de la page de l’histoire de l’art. Évidemment, elle suit l’évolution sociale, car derrière, il y a un commanditaire qui veut frapper l’imagination des gens.

Qu’est-ce qui détermine la rareté d’une affiche ?
La rareté est liée à ce qui reste, mais c’est une donnée empirique, car on a très peu d’informations sur l’importance d’un tirage. On peut le supposer à partir de la portée de l’événement annoncé, de sa durée. L’affiche de Paul Colin pour la Revue nègre en 1925 est forcément rare, car il s’agit d’une soirée dans un lieu déterminé, au Music-Hall des Champs-Élysées. C’est un événement parisien, donc il n’a pas fait l’objet d’une campagne publicitaire dans toute la France.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°606 du 1 octobre 2008, avec le titre suivant : L’affiche, une seconde vie après la rue

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