Musée

Antiquité Égyptienne

L’Égypte des pharaons au féminin

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 5 décembre 2018 - 774 mots

GRENOBLE

Le Musée de Grenoble, grâce à un partenariat exemplaire avec le Louvre, consacre une exposition au culte d’Amon, plongeant le visiteur dans la ville de Thèbes, au plus près d’un clergé peu connu.

Grenoble. Inutile de ménager un suspens d’artifice : la nouvelle exposition du Musée de Grenoble, en partenariat avec le Musée du Louvre, est une belle réussite, alliant médiation et érudition, spectaculaire et intime, dans une scénographie élégante laissant place à la contemplation et la lenteur. Proposant de creuser le sujet inédit des « divines adoratrices » à Thèbes, durant la période peu connue de la Troisième Période intermédiaire (1069-664 av. J.-C.), le sujet aurait pu sombrer dans le spectaculaire au contenu un peu vide, se contentant d’égrener la préciosité des objets venus du Louvre, ou tout au contraire, choisir de s’en tenir à un propos scientifique, certes rigoureux, mais difficile d’accès aux simples mortels peu au faîte des subtilités d’une société ancienne.

Pourquoi un tel sujet, éloigné du faste des pharaons et des grandes pyramides au cours de la Troisième Période intermédiaire (TPI), coincée entre le Nouvel Empire de Ramsès II et la Basse Époque ? Il est le fruit d’une convention-cadre de trois ans signée entre le Musée du Louvre et le Musée de Grenoble. Le directeur de ce dernier, Guy Tosatto, souhaitait mettre en lumière les collections d’antiquités égyptiennes du musée. Avec 400 pièces et douze cercueils, « c’est la troisième collection après Marseille et Lyon », souligne le directeur grenoblois qui souhaite créer une nouvelle scénographie pour ces collections à l’horizon 2022, année de la célébration des 200 ans du déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion. Le plus fameux des égyptologues fut en effet le premier à cataloguer la collection de Grenoble.

Pour remettre l’Égypte en lumière dans la capitale du Dauphiné, Guy Tosatto est allé toquer à la porte du Louvre. « L’exposition a été rendue possible par un intérêt partagé : c’est notre mission en tant que grand département. Et la période de la TPI représentait un intérêt scientifique pour le Louvre dans le cadre du projet de rénovation des salles du Ier millénaire au Louvre dans le Musée Charles X » explique Jean-Luc Martinez, président-directeur du Louvre. Florence Gombert-Meurice, conservatrice en chef du patrimoine au département des Antiquités égyptiennes du Louvre, a eu vingt et un mois pour imaginer un projet à partir du catalogue des collections grenobloises établi en 1979. Les éléments de cercueil d’Hénouttaneb, maîtresse de maison et chanteuse-chémayt d’Amon-Rê, datés de la XXIe dynastie, seront le point de départ du projet. « À partir des cercueils du clergé d’Amon à Thèbes durant la TPI, il s’agit d’explorer les deux collections du Louvre et de Grenoble », résume la conservatrice et commissaire d’exposition. Pour aborder cette« période qui commence à peine à s’écrire », Florence Gombert-Meurice a collaboré avec Frédéric Payraudeau, maître de conférences à la Sorbonne, spécialiste de la société thébaine durant le Ier millénaire avant J.-C.

Reconstitution de lignées puissantes

Cette alliance du musée et de l’université a permis de tricoter un parcours de 260 œuvres (dont 200 venues du Louvre), avec un quart sorti des réserves, à la lumière des dernières découvertes archéologiques. Le choix des commissaires a été d’incarner le récit au travers de lignées de prêtres et d’adoratrices : plutôt qu’une succession de sarcophages anonymes, ils ont réuni pour la première fois les objets de ces familles. Ainsi la statue funéraire du vizir et prêtre d’Amon Pamy, venue du British Museum, côtoie les deux cercueils de sa belle-fille, prêtés par le Louvre et la Bibliothèque nationale de France, et les cercueils de ses petits-fils, sortis des réserves du Louvre. « La reconstitution de la famille d’un personnage puissant, comme le vizir Pamy, permet de mobiliser une large documentation, enrichissant tant notre connaissance des administrations et des clergés thébains que des pratiques funéraires de l’élite de la ville d’Amon (...) même si l’enquête se poursuit toujours »,écrit Frédéric Payraudeau dans le catalogue.

Point fort de l’exposition, le clergé féminin est étudié. La statue de la divine adoratrice Karomama, chef-d’œuvre du Louvre découvert par Champollion, est restée à Paris, intransportable depuis qu’une restauration du XIXe siècle l’a vidée de son noyau en argile. Mais ces femmes de sang royal, au pouvoir politique que l’on commence à étudier, sont présentées à travers des bas-reliefs, statuettes, textes et un exceptionnel étui à tablette orfévré de Chépénoupet, fille de roi et épouse de dieu. Ces traces illustrent le raffinement et le luxe de cette cour féminine, qui devait résonner des sons des tambours, claquoirs, cistres et crécelles présentés en dernière partie.

Dans les grandes salles aérées et confortables du Musée de Grenoble, grâce à une scénographie légère et sobre, les objets réunis racontent toutes ces histoires.

Servir les dieux d’Égypte. Divines adoratrices, chanteuses et prêtres d’Amon à Thèbes,
jusqu’au 27 janvier 2019, Musée de Grenoble, 5, place Lavalette, 38000 Grenoble.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°512 du 30 novembre 2018, avec le titre suivant : L’Égypte des pharaons au féminin

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