METZ
Le Centre Pompidou-Metz retrace, dans un parcours ample et ambitieux, une histoire du jardin comme objet d’investigations et terreau fertile d’inspirations pour les artistes.
METZ - L’eau, jaunâtre, y est épaisse et trouble. Dans cet aquarium de Pierre Huyghe, où s’ébat un invertébré semblant venu d’un autre âge, la nature un rien luxuriante qui s’épanouit n’est pas le fruit du hasard. Elle laisse croître un écosystème particulier, dont la base tient dans le bassin aux nymphéas de Giverny, celui de Claude Monet, dans lequel l’artiste est allé effectuer quelques prélèvements afin d’en transposer le biotope avant d’en observer l’évolution (Nymphéas Transplant, 14-18, 2014). À cet impressionnisme d’aujourd’hui fait face l’original, un tondo de Monet, mais surtout une vitrine qui documente l’élaboration par le peintre de cet étang, qui allait devenir le principal motif d’une réinvention constante de son œuvre. Une documentation qui témoigne également des tracasseries administratives rencontrées dans un projet alors considéré comme un peu fou et mal vu par le voisinage.
Un territoire d’expérimentations
Aborder le jardin du point de vue des artistes, pas seulement comme motif, mais bien plus encore en tant que lieu de déploiement d’une imagination rebelle, voilà le but de la riche et ambitieuse exposition « Jardin infini. De Giverny à l’Amazonie », proposée par le Centre Pompidou-Metz. Et puisque les artistes sont au centre des préoccupations, c’est à l’un d’entre eux, le Brésilien Daniel Steegmann Mangrané, qu’est revenu d’en assurer la scénographie sur les deux niveaux qu’elle occupe, avec des atmosphères fort différentes.
Au troisième niveau du musée prévaut une ambiance sombre et terreuse, proche des sous-sols, comme ceux explorés par Philippe Parreno dans un film tellurique (C.H.Z., 2011). Le jardin est nocturne avec quelques éclairs de lumières, comme ceux du surréaliste Óscar Dominguez ou cette ampoule cachée sous une grosse anthracite dans une curieuse œuvre de Giovanni Anselmo (Trois cents millions d’années, 1969).
Les commissaires de l’exposition Emma Lavigne et Hélène Meisel semblent s’être données pour objectif de faire émerger des jardins singuliers, sauvages ou tout simplement originaux, à rebours de l’idée très française du jardin entretenu et savamment domestiqué. Quelques aventures personnelles d’artistes « jardiniers » y sont relatées. Ainsi d’une salle consacrée à Jean Dubuffet et de cette autre dans laquelle est venue se poser l’étrange Jardinière de Thierry de Cordier, qui lui sert de refuge pour écrire.
L’idée d’indocilité est également observée à travers les prismes de la croissance, la germination et la métamorphose. C’est là l’un des grands intérêts de cette proposition qui, plutôt que de s’attacher au motif en lui-même, tente d’en observer détournements et dévoiements des usages et des images traditionnels. Il est remarquable d’avoir consacré une belle part de l’accrochage à des perceptions du jardin plus mentales, voire hallucinatoires. Il en est ainsi de Yayoi Kusama qui relate ses premières hallucinations dans une vidéo de 1968 ou des surimpressions photographiques de fleurs et de champignons de Fischli & Weiss qui voient se troubler le motif.
Ces expériences du jardin – que l’on pourrait qualifier de parallèles par la dichotomie entre physique et psychique qu’elles opèrent – font écho à l’évocation par Emanuele Quinz, dans le catalogue, du jardin maniériste et surtout du labyrinthe à propos duquel il écrit : « En révélant la nature dédaléenne du jardin, il reconduit l’architecture à l’archétype de l’errance comme fondement de la quête de soi et semble suggérer […] que ce n’est pas la sortie qui compte, mais la traversée : traverser un jardin, c’est se faire traverser par le jardin, n’être plus le même. » Au second niveau, c’est l’exposition qui se métamorphose, devenant elle-même un jardin qui justement impose une traversée dans une scénographie sans cloisonnement, n’étaient-ce quelques rideaux de chaînettes chers à Daniel Steegmann Mangrané et devenus sa marque de fabrique, qui redessinent des espaces un peu transparents.
Là, l’expérience du jardin se fait plus concrète et vivante, avec quelques propositions véritablement organiques : l’aquarium de Pierre Huyghe bien entendu, mais aussi une belle installation de Hans Haacke non dénuée de perspectives politiques qui, en 1972, avait laissé croître sur des fils tendus des haricots verts redevenus avec le temps presque sauvages, entre domestication et liberté (Directed Growth) ; ils sont là réinstallés en plein soleil contre une baie vitrée.
Au terme de la balade, Ernesto Neto invite à s’allonger sous des cristaux et des épices afin de capter de nouvelles énergies et de laisser chacun s’abandonner à une autre expérience de soi en effet, à une autre forme d’errance.
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Le jardin, un motif d’inspiration rebelle et vivace
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Abonnez-vous dès 1 €JARDIN INFINI. DE GIVERNY Á L’AMAZONIE
Jusqu’au 28 août, Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des Droits de l’Homme, 57000 Metz.
Légende Photo
Peter Fischli et David Weiss, Sans titre (Blumen 2/20), 1997-1998, épreuve jet d'encre, collection particulière. © Courtesy Sprüth Magers ; Matthew Marks Gallery New York and Los Angeles, Galerie Eva Presenhuber, Zurich.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°478 du 28 avril 2017, avec le titre suivant : Le jardin, un motif d’inspiration rebelle et vivace