Italie - Art moderne

ART MODERNE / EXPOLOGIE

Le grand raté de l’exposition sur le futurisme à Rome

Dépourvue de projet scientifique, « Il tempo del futurismo », la grande rétrospective sur le mouvement né en Italie actuellement présentée à la Galerie nationale d’art moderne, est un échec dans sa mise en œuvre.

Vue de l'exposition Il tempo del Futurismo à la Galleria Nazionale d'Arte Moderna e Contemporanea. © Emanuele A. Minerva e Agnese Sbaffi - Ministero della Cultura
Vue de l'exposition « Il tempo del Futurismo » à la Galleria Nazionale d'Arte Moderna e Contemporanea.
© Emanuele A. Minerva e Agnese Sbaffi / Ministero della Cultura

Rome. Le Journal des Arts annonçait en octobre dernier le naufrage à venir de la grande exposition sur le futurisme en Italie à la Galleria nazionale d’arte moderna e contemporanea (GNAMC) de Rome [lire le JdA n° 640, 4 oct. 2024]. La crainte s’est vérifiée. « Il tempo del futurismo » relève du « charlatanisme, fustige le spécialiste de ce mouvement d’avant-garde, Andrea Baffoni. Je préfère me tenir à l’écart de ce navire délabré. » La métaphore sied parfaitement à une exposition qui aura plus fait parler d’elle avant son inauguration qu’après.

Une vague inédite de polémiques avait en effet submergé ce navire sans véritable équipage. Certains membres du comité scientifique, qui n’avait même pas été institué officiellement, n’avaient pas reçu de lettre de mission du ministère de la Culture italien, tandis que d’autres étaient évincés sans plus d’explications. La cargaison fut jusqu’au dernier moment incertaine avec le chaos le plus total relativement aux demandes de prêts d’œuvres faites aux différents collectionneurs privés et institutions publiques.

Quant au cap, il n’y en avait pas. De l’aveu même de son capitaine, Gabriele Simongini, l’exposition dont il est le commissaire « se veut une exposition pour tous, adaptée à un large public, du bibliophile le plus avide à l’enfant à la recherche de nouveautés technologiques, de l’amateur de contemplation à l’aficionado d’installations multimédia ».

Une pêche au chalut qui n’aura recueilli dans ses filets qu’environ 100 000 visiteurs trois mois après son inauguration. C’est bien peu pour une exposition que la directrice de la GNAMC qualifiait d’« historique, [et de] plus importante en Italie de la dernière décennie ». L’hyperbole se justifie en effet par son budget de un million d’euros, ses 500 objets et œuvres d’art plus amassés qu’exposés dans 26 salles.

Vue de l'exposition Il tempo del Futurismo à la Galleria Nazionale d'Arte Moderna e Contemporanea. © Emanuele A. Minerva e Agnese Sbaffi - Ministero della Cultura
Vue de l'exposition « Il tempo del Futurismo » à la Galleria Nazionale d'Arte Moderna e Contemporanea.
© Emanuele A. Minerva e Agnese Sbaffi / Ministero della Cultura
Une exposition surabondante

Dans ce raz-de-marée qui submerge le visiteur, figurent une voiture ancienne, un avion, des motos, des appareils sonores et des machines à écrire… Soit une exposition gargantuesque qui laisse pourtant sur sa faim. Bien qu’elle veuille rappeler que le futurisme ne connut de frontières pas plus géographiques qu’artistiques, elle se cantonne au pré carré italien et pictural. Au moins un tiers des œuvres présentées proviennent des réserves ou des collections de la GNAMC, les autres sont majoritairement prêtées par des institutions et des collections privées transalpines.

La sculpture fait figure de parent pauvre dans le parcours tout comme l’architecture ou la photographie avec quelques plans et tirages servant surtout de prétextes. Pour le sous-texte des œuvres, il faudra faire preuve d’une grande capacité d’interprétation ou d’une très fine connaissance du sujet. « Il tempo del futurismo » se destine au plus large public possible, mais s’adresse surtout à ceux qui sont en mesure de faire des analogies ou de mettre de l’ordre dans cet amoncellement qui en manque cruellement. Le parcours n’est ni historique ni thématique, alignant les œuvres sans les hiérarchiser et les expliquant à peine. Les panneaux qui jalonnent les salles sont génériques, les cartels se résument à quelques lignes comportant parfois des erreurs. À commencer par les dates. La toile Béguinage d’Enrico Prampolini aurait ainsi été peinte en 1914 alors que les historiens de l’art s’accordent à la situer dans les années 1940. « Personne ne nie a priori que quelques petites inexactitudes aient pu être commises », se défend Gabriele Simongini. Le catalogue de l’exposition en est truffé, entre les œuvres non exposées mais qui y figurent et celles exposées qui en sont absentes.

Vue de l'exposition Il tempo del Futurismo à la Galleria Nazionale d'Arte Moderna e Contemporanea. © Emanuele A. Minerva e Agnese Sbaffi - Ministero della Cultura
Vue de l'exposition « Il tempo del Futurismo » à la Galleria Nazionale d'Arte Moderna e Contemporanea.
© Emanuele A. Minerva e Agnese Sbaffi / Ministero della Cultura

On s’y noie. Comme le visiteur qui erre au milieu de ces salles immenses en tentant de s’accrocher au radeau d’un chef-d’œuvre. Il surnage grâce à la production d’Umberto Boccioni, Gino Severini, Luigi Russolo ou encore Prampolini, et celle de Fortunato Depero et de Gerardo Dottori, ces deux artistes étant dignement représentés. Mais les grandes pièces emblématiques du futurisme brillent par leur absence. L’exposition a néanmoins le mérite de présenter plusieurs œuvres de qualité de cette avant-garde qui ont été peu ou jamais montrées au public. Dommage que la salle la plus réussie soit la première qui évoque ses prémices avec un vibrant hommage au divisionnisme. Le Soleil (1904) de Giuseppe Pellizza da Volpedo dialogue efficacement avec Alla stanga (1886), de Giovanni Segantini, et Lampada ad arco (vers 1909-1911) de Giacomo Balla.

Intervention politique

L’historien de l’art Fabio Benzi qualifie avec raison la manifestation de « terne et confuse ». Elle pèche par son absence de projet scientifique, sans proposition originale, sans bornes chronologiques claires ni regard nouveau sur un mouvement qui a déjà fait l’objet de nombreuses expositions majeures ces dernières années. C’est que la motivation n’était pas artistique mais politique. L’Italie devait reprendre l’exposition intitulée « Le futurisme en Europe » et présentée en 2023 au Musée Kröller-Müller, à Otterlo, aux Pays-Bas. Mais le gouvernement nationaliste de Giorgia Meloni a décidé de privilégier une exposition conçue en Italie par des Italiens. Un projet identitaire voulant réhabiliter un mouvement culturel dont l’image avait souffert par le passé de l’adhésion au fascisme de certains de ses plus éminents représentants. Ce n’est plus le cas. Si la damnatio memoriae qui pesait sur le futurisme est depuis longtemps levée, l’exposition de la GNAMC va, elle, rapidement tomber dans l’oubli. À moins qu’elle ne soit saluée comme le plus bel hommage à Filippo Marinetti en incitant à appliquer son célèbre Manifeste qui proclamait sa volonté de « démolir les musées et combattre les lâchetés opportunistes et utilitaires ».

Il tempo del futurismo,
jusqu’au 27 avril, Galleria nazionale d’arte moderna e contemporanea, viale delle Belle Arti 131, Rome.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°651 du 14 mars 2025, avec le titre suivant : Le grand raté de l’exposition sur le futurisme à Rome

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