PADOUE / ITALIE
Mouvement artistique éphémère, le Futurisme n’en a pas moins marqué l’histoire de l’art européen. Une exposition en Vénétie explore la naissance de cette avant-garde du siècle dernier.
Padoue (Italie). L’acte de naissance du Futurisme est connu : le texte qui fonde l’une des plus grandes avant-gardes du XXe siècle est publié dans les pages du Figaro le 20 février 1909. Une provocation littéraire que l’on doit au poète et écrivain Filippo Tommaso Marinetti. Il faudra un an pour qu’il soit accompagné d’un geste artistique. Le 11 février 1910, le Manifeste des peintres futuristes est rédigé sous forme de tract par les « Milanais » Umberto Boccioni, Carlo Carrà, Luigi Russolo auxquels se joignent, quelques mois plus tard, Gino Severini et Giacomo Balla. Le but, explique Carrà, est de secouer les « jeunes artistes italiens de la léthargie qui suffoquait chacune de leur légitime aspiration […] Répandre quelques jours plus tard, à des milliers d’exemplaires, cet appel à une rébellion hardie et ouverte, sous le ciel gris de notre pays, fit l’effet d’une décharge électrique. »
Cette électricité est palpable aujourd’hui dans l’exposition « Futurisme, naissance d’une avant-garde », présentée au palazzo Zabarella de Padoue. L’exiguïté de certaines salles dans lesquelles sont réunies plus de cent œuvres amplifie le souffle provoqué par une déflagration de mouvements et de couleurs. Ce sont les deux éléments qui « détruisent la matérialité des corps » brandis par les artistes futuristes. Foisonnement n’est pas, dans ce cas, synonyme d’amas informe et confus.
Les commissaires de l’exposition se sont concentrés sur le tout début du Futurisme, de 1910 à 1915, pour jeter un éclairage nouveau et mieux comprendre la genèse de ce mouvement artistique. « Parmi les nombreuses expositions sur le Futurisme qui ont eu lieu ces quarante dernières années, explique Fabio Benzi à l’origine de l’exposition, aucune ne s’est jamais focalisée de manière critique et exhaustive sur ses présupposés culturels et figuratifs, sur ses racines, sur les âmes différentes et sur les nombreux thèmes qui ont d’abord contribué à la naissance, puis à l’explosion et à la pleine configuration de ce mouvement qui a caractérisé, de manière si disruptive, l’art occidental dans la première moitié du XXe siècle. » L’exposition balaye ces cinq années mettant en lumière la naissance du mouvement, son affirmation et sa diffusion internationale, du Manifeste des peintres futuristes de 1910 à celui de la Reconstruction futuriste de l’univers en 1915, date de l’entrée de l’Italie dans la Première Guerre mondiale. Une intervention militaire applaudie en son temps par les artistes futuristes dont nombre d’entre eux s’engagent dans l’armée et y laissent la vie dont Boccioni.
« Tout dans l’art est une convention, et les vérités d’hier sont aujourd’hui, pour nous, purs mensonges », proclament-ils dans leurs manifestes. L’exposition a le mérite d’ordonner et de présenter ces « mensonges » qu’ils ont su s’approprier et détourner pour élaborer une nouvelle vérité artistique offerte au monde de demain. Elle plonge ses racines dans le symbolisme et le divisionnisme, aussi appelé chromo-luminarisme, réunissant les premiers artistes futuristes qui n’hésitent pas à se proclamer « seigneurs de la lumière ». L’influence des œuvres de l’artiste symboliste Giovanni Segantini et celles des divisionnistes Gaetano Previati et Giuseppe Pellizza da Volpedo est éclairante. Les salles thématiques composent par touches la toile de fond du Futurisme sur laquelle s’exprimeront ses plus éminents interprètes. Ils s’abreuvent au spiritualisme, dialoguent avec le dynamisme et approfondissent la simultanéité. De quoi nourrir la querelle avec les cubistes français. « Cette querelle est vaine, explique Fabio Benzi. Guillaume Apollinaire se montre à la fois très critique et très intéressé par les futuristes qui arrivent à Paris, capitale mondiale de l’art et de ses avant-gardes, imbus d’arrogance et assoiffés de reconnaissance. Gino Severini, voisin de Georges Braque et Pablo Picasso, est leur “ambassadeur” à Paris où il vit et travaille, mais aussi leur “Virgile”. Il guide ses compagnons dans le contexte artistique de la “ville lumière” avec ses modes, ses réseaux, les débats qui l’agitent. »
Grâce au succès de l’exposition des peintres italiens de février 1912 à Paris, à la galerie Bernheim-Jeune, le Futurisme rejoint les avant-gardes internationales les plus dynamiques. D’autres expositions suivront à Londres, Berlin, Bruxelles…
« Un spectre hante l’art européen, celui du Futurisme », pourrait-on déclarer en paraphrasant un autre manifeste se voulant lui aussi à l’origine d’une profonde révolution politique sur le point d’éclater. Un mouvement artistique projetant de devenir un véritable art de vivre et voulant révolutionner le moindre aspect de nos existences et de nos rapports aux arts. « Nous trouverons des équivalents abstraits pour toutes les formes et tous les éléments de l’univers, puis nous les combinerons ensemble selon les caprices de notre inspiration, promet le Manifeste de la reconstruction futuriste de l’univers, et nous en formerons des complexes plastiques auxquels nous communiquerons le mouvement. » C’est le thème des dernières salles du parcours, lequel sera approfondi, en avril prochain, par le Musée Kröller-Müller d’Otterlo (Pays-Bas) qui présentera l’exposition « Futurisme et Europe ».
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°598 du 4 novembre 2022, avec le titre suivant : La genèse du futurisme racontée à Padoue