ERSTEIN
Le Musée Würth rend compte des installations de Christo par des photographies grand format et ses dessins préparatoires.
Erstein. L’idéal serait de voir les deux expositions qui proposent l’œuvre de Christo et Jeanne-Claude, celle du Centre Pompidou et celle du Musée Würth à Erstein, tant elles se complètent. Ce chevauchement de dates n’a rien d’une coïncidence. D’une part, elles sont liées à l’actualité : l’empaquetage prévu de l’Arc de Triomphe, maintenu malgré le décès de l’artiste et repoussé à 2021 ; d’autre part, la présentation du Musée Würth – fondé par l’entrepreneur et collectionneur allemand Reinhold Würth – doit beaucoup à son imposante collection qui inclut un ensemble important de travaux de Christo.
Ainsi, à Paris, ce sont les premières années de l’artiste qui sont mises à l’honneur et surtout la période parisienne avec comme point d’orgue, le Pont Neuf. En Alsace, c’est une rétrospective qui couvre toute la carrière de ce couple d’artistes, y compris les projets abandonnés, refusés, ou en suspens, comme le mastaba prévu à Abou Dhabi.
Mais, la taille monumentale des travaux in situ rend impossible leur présence au musée. Le parcours chronologique est composé essentiellement des formidables clichés de grand format, faits par le photographe attitré de l’artiste, Wolfgang Volz. Une exception, toutefois, la maquette du projet qui a probablement attiré le plus l’intérêt du grand public : l’empaquetage du Reichstag en 1995.
On aurait aimé voir davantage d’objets et de matériaux qui entrent dans la composition de ces différents travaux. Mais, cette absence est compensée par l’attention accordée, encore plus qu’au Centre Pompidou, à la qualité des dessins préparatoires de Christo. Un exemple particulièrement frappant est celui où l’on suit de près le processus de la création qui aboutit à Valley Curtain (voir ill.), un rideau monumental en nylon orange de 12 783 m2 tendu entre deux massifs dans le Colorado (1972). Sur une feuille, Christo fait un croquis schématique du lieu, accompagné de toutes les données techniques nécessaires pour réaliser le projet. Sur une autre, c’est une véritable carte topographique qui donne au spectateur une vision en relief du lieu. D’autres dessins, effectués après l’exécution de différents projets, introduisent parfois des accents poétiques, sans renoncer à une description précise.
Le spectateur peut embrasser les nombreuses interventions de l’artiste bulgare, récemment décédé. Quand ce dernier ne « sculpte » pas l’espace urbain, ses travaux se situent dans un cadre mitoyen, celui d’une nature habitée, « civilisée ». À l’encontre des artistes du land art, comme Robert Smithson ou Walter De Maria, qui cherchent l’éloignement et l’isolement, Christo s’intéresse à l’introduction du singulier dans un cadre plus familier, permettant une rencontre avec un grand public (The Gates, Central Park, New York, 2005). Pour Jeanne-Claude, son épouse et sa fidèle collaboratrice, Christo « ne savait pas que sa vie entière serait marquée par le tissu ». Le parcours au musée fait défiler leurs spectaculaires installations, ces rencontres insolites entre nature et culture qui n’ont duré qu’un court moment, mais dont le souvenir marque notre mémoire.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°550 du 4 septembre 2020, avec le titre suivant : L’autre exposition Christo