Société

Laurence Bertrand Dorléac : « 14-18 est une guerre d’inflation des images de toutes sortes »

Par L'Œil · L'ŒIL

Le 16 janvier 2014 - 508 mots

Laurence Bertrand Dorléac, est historienne de l’art, commissaire de l’exposition « Les désastres de la guerre. 1800-2014 », au Louvre-Lens à partir du 28 mai prochain

L’Œil Pourquoi présentez-vous une exposition sur la représentation de la guerre du XIXe siècle à aujourd’hui, plutôt qu’une manifestation centrée sur la création en 14-18 ?
Laurence Bertrand Dorléac  “1917” au Centre Pompidou-Metz en 2012 était une manifestation passionnante, très réussie et très émouvante, et il ne serait pas intéressant de refaire une exposition sur ce sujet aussi peu de temps après. En outre, à l’échelle européenne, les musées vont organiser de nombreux événements sur cette question à l’occasion de la commémoration du centenaire de 14-18. Selon nous, il est nettement plus stimulant de travailler sur la longue durée pour avoir une vue d’ensemble radicalement neuve. Nous comprendrons bien mieux 14-18 en embrassant un champ plus large, qui permettra de saisir à la fois les spécificités de ce conflit et les continuités dans le cadre d’une anthropologie des représentations de la guerre depuis deux siècles.

Pourtant, les historiens ont souvent dit que 14-18 marque une rupture dans la représentation de la guerre…
Oui, mais les guerres napoléoniennes, qui sont le point de départ de notre manifestation, marquent également un tournant crucial dans l’histoire des mentalités et des représentations. C’est vraiment à partir de ce conflit que les artistes ont commencé à voir et à représenter la guerre autrement que de façon héroïque. C’est à partir de ce moment où Napoléon tue la guerre en l’exagérant, comme l’écrit Chateaubriand, qu’apparaît la figure romantique du soldat blessé, de l’anonyme extrait du champ collectif de la grande bataille. C’est à partir de là que Goya, le peintre des Lumières qui en pressent les ombres, imagine tous les désastres de la guerre présente et future. Nous montrerons que, plus généralement, chaque grande guerre a marqué un tournant visuel dans les techniques et les politiques de représentation des artistes. Ceux-ci doivent à chaque fois imaginer de nouveaux outils et, en se servant des traditions, trouver une manière adéquate pour représenter de nouveaux désastres.

En 14-18, quelles sont les innovations les plus saillantes ?
On assiste à une banalisation du cinéma d’actualité, regardé par les populations à l’arrière. Dès 1916, on produit des images animées rudimentaires mais très frappantes, sur la sortie des hommes des tranchées, en particulier. Elles rendent compte de l’animalisation des combattants et de la mécanisation de la guerre. Puis, de nombreux soldats possèdent des appareils portatifs et leurs clichés connaissent une large diffusion, ils sont même parfois vendus à la presse ou à des éditeurs de cartes postales. On peut dire que 14-18 est vraiment une guerre d’inflation des images de toutes sortes, à la fois sur des supports anciens – dessin, gravure, peinture –, mais aussi en photographie, au cinéma ou sous la forme d’affiches, y compris de propagande. C’est une époque où les médias se multiplient et où la notion d’amateur se généralise. Tout est amplifié, mais la différence avec les conflits précédents est davantage d’ordre technique et d’échelle que de nature.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°665 du 1 février 2014, avec le titre suivant : Laurence Bertrand Dorléac : « 14-18 est une guerre d’inflation des images de toutes sortes »

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