À Orsay, « L’impressionnisme et la mode » explore les liens entre peinture et couture. Cette exposition signe-t-elle la reconnaissance de la mode, longtemps exclue pour sa frivolité, par les historiens de l’art ?
En 1858, dans l’arrière-boutique parisienne du couturier Charles Frédéric Worth, quelques clientes privilégiées assistent à la naissance du défilé de mode. Le couturier se fait créateur et use désormais du carnet et du crayon pour imposer ses idées aux femmes. Quelques années plus tard, les impressionnistes sortiront, eux, de leur atelier afin de puiser leurs sujets dans l’observation de leurs contemporains et de leurs toilettes.
Guy Cogeval, président du Musée d’Orsay, constate « la coïncidence de ces deux phénomènes typiquement parisiens » à la fin du XIXe siècle : l’avènement de la haute couture et la naissance du mouvement impressionniste. L’exposition dont il est aujourd’hui le co-commissaire, « L’impressionnisme et la mode », première « de [cette] ampleur dans un musée classique », s’attache donc à proposer une réflexion qui étaye les rapports entre l’histoire de l’art et celle de la mode. Un événement pour la recherche en France.
Le retard français
Une cinquantaine de robes, de costumes masculins et d’accessoires, issus principalement des collections du Musée de la mode et du textile des Arts décoratifs et du Musée Galliera, dialoguent avec les toiles des maîtres impressionnistes. Dans une scénographie théâtrale signée Robert Carsen, les femmes au Balcon (1869) et la Jeune Dame (1866) peintes par Manet défilent sur le tapis rouge. Derrière les vitrines du musée, les chapeaux rappellent ceux vendus Chez la modiste de Degas. « La mode est française simplement parce qu’elle ne saurait se passer du concours de la Parisienne », écrivait la chroniqueuse Emmeline Raymond dans la revue La Mode et la Parisienne en 1868. Six ans plus tard, Manet rendait hommage à cette figure incontournable de la capitale dans sa Parisienne, élégante vêtue d’une robe de soirée noire, dont un modèle de soie et de velours est présenté dans l’exposition.
S’ils ont réinventé le paysage, les impressionnistes ont aussi « réinventé la mode à travers ce nouveau genre pictural », a expliqué Gloria Groom, co-commissaire de l’exposition, lors de sa conférence en février dernier à la Frick Collection à New York. Conservatrice à l’Art Institute de Chicago et auteure de l’étude Impressionism, Fashion and Modernity, sortie en septembre 2012 aux États-Unis, c’est elle qui a suggéré ce thème d’exposition il y a quatre ans au président du Musée d’Orsay et à Gary Tinterow, conservateur au Metropolitan Museum de New York où l’exposition voyagera au printemps 2013.
L’idée de réunir deux phénomènes parisiens dans une exposition à Paris a donc émergé outre-Atlantique. Tout comme la prochaine exposition des Arts décoratifs, « Fashioning fashion », qui retracera à partir du 13 décembre l’histoire de la mode européenne des XVIIIe et XIXe siècles, a été conçue par le County Museum of Art de Los Angeles à partir de ses collections. Au pays de la haute couture, la mode peine encore à trouver sa place dans l’histoire de l’art et les musées.
L’avance anglo-saxonne
Tant sur le plan des collections que sur celui de la recherche, les pays anglo-saxons marquent une avance considérable dans ce domaine. Delphine Pinasa, directrice du Centre national du costume de scène et de la scénographie (CNCS) à Moulins, confirme qu’ils sont les premiers à s’y être intéressés : « Lors des premières ventes [des costumes] des Ballets russes, datant des années 1960, ce sont les musées anglo-saxons qui ont acheté plutôt que les musées français. » À la tête d’un CNCS qui vient seulement de fêter ses six ans, elle ajoute : « La structuration réelle des musées de mode et de costume [en France] a été très tardive par rapport aux autres arts. » En effet, le palais Galliera ne devient officiellement le Musée de la mode de la Ville de Paris qu’en 1977. Quant au Musée de la mode et du textile, il ouvre en 1986 au sein des Arts décoratifs, soit près de trente ans après la nomination du premier conservateur au département Mode du Victoria and Albert Museum de Londres.
Les échanges entre historiens
C’est que la mode, branche des arts décoratifs, était pour la recherche, jusqu’à il y a peu, une affaire frivole et l’apanage d’une industrie du luxe. « Les historiens de l’art ont longtemps considéré cet objet périssable qu’est le vêtement […] comme un instrument auxiliaire à la datation des œuvres d’art », rappelle Isabelle Parésys dans l’éditorial de la Revue de l’art de décembre 2011, qui observe tout de même un renouvellement des approches « palpable ces derniers temps ». Même constat pour Damien Delille, chargé d’études et de recherche dans le programme Histoire de la mode et du vêtement de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) à Paris : « L’histoire de l’art commence à s’intéresser [à l’histoire de la mode] car elle tend vers un décloisonnement des disciplines et vers peut-être d’autres types de régimes esthétiques. »
L’INHA a lancé en 2011 un cycle de séminaires autour de la question « La mode : objet d’études ? », dirigé par Philippe Sénéchal, directeur d’études et de recherche. Professeur d’université, celui-ci avait reçu plusieurs demandes des départements Fashion Studies des universités anglaises pour des échanges entre étudiants. Pour lui, « cela a été une prise de conscience : les Anglais […] travaill[aient] sur des sujets qui pou[vaient] être traités en France. Mais aucun programme universitaire n’existait alors pour coordonner ces questions-là ».
Parallèlement, la mode a fait son entrée dans un temple de l’enseignement de l’histoire de l’art. En 2007, l’École du Louvre a en effet inauguré une chaire d’enseignement consacrée à l’histoire de la mode et du costume sous l’impulsion financière de la Fédération française du prêt-à-porter féminin et sous la direction scientifique de Catherine Join-Diéterle, ancienne directrice du Musée Galliera.
L’école répond ainsi à un mouvement général de la recherche vers plus d’interdisciplinarité qui trouve son expression la plus édifiante dans l’histoire du costume, au croisement de la mode, de la danse, de la photographie et du cinéma. Les expositions « Paris vu par Hollywood » et « Hollywood costume », proposées respectivement par la Mairie de Paris jusqu’au 15 décembre et par le V&A Museum de Londres jusqu’au 27 janvier 2013, annoncent donc une nouvelle étape.
- « L’impressionnisme et la mode », jusqu’au 20 janvier 2013. Musée d’Orsay. Ouvert du mardi au dimanche de 9 h 30 à 18 h. Nocturne le jeudi jusqu’à 21 h 45. Tarifs : 12 et 9,5 e. www.musee-orsay.fr
- « Cheveux chéris. Frivolités et trophées », jusqu’au 14 juillet 2013. Musée du quai Branly. Ouvert le mardi, mercredi et dimanche de 11 h à 19 h et le jeudi, vendredi et samedi de 11 h à 21 h. Tarifs : 8,5 et 6 e. www.quaibranly.fr
- « Fashioning fashion : deux siècles de mode européenne, 1700-1915 », du 13 décembre au 14 avril 2013. Musée des arts décoratifs. Ouvert du mardi au dimanche de 11 h à 18 h. Nocturne le jeudi jusqu’à 21 h. Tarifs : 8 et 9,5 e. www.lesartsdecoratifs.fr
- « Paris vu par Hollywood », jusqu’au 15 décembre 2012. Hôtel de Ville de Paris. Ouvert du lundi au samedi de 10 h à 19 h. Entrée libre. www.paris.fr/hollywood
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L'art et la mode
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°651 du 1 novembre 2012, avec le titre suivant : L'art et la mode