Depuis la Renaissance, de nombreux artistes européens se sont inspirés des textes de l’Antiquité pour dépeindre aussi bien le Paradis perdu qu’un avenir radieux pour l’humanité. Dévoilement à Ornans.
Ornans, Doubs. Hésiode, le poète-paysan grec de la fin du VIIIe siècle avant notre ère qui a composé Les Travaux et les Jours, et Ovide, l’auteur latin des Métamorphoses datant du début de notre ère, nous ont transmis un mythe peut-être aussi vieux qu’Homo sapiens, celui de l’âge d’or. Dans leurs récits, ce temps heureux de l’humanité fut bientôt suivi des âges d’argent, de bronze puis de fer qui ont vu nos semblables passer d’un éternel et insouciant printemps à la nécessité de travailler, de posséder et parfois de tuer. La Genèse ne dit pas autre chose lorsqu’elle raconte la chute d’Adam et Ève.
Dans une thèse soutenue en 2012, suivie de la publication de L’Imaginaire de l’âge d’or à la Renaissance (éd. Brepols, 2017), Élinor Myara Kelif a étudié la place de ce mythe dans la culture visuelle occidentale. Avec Benjamin Foudral, conservateur-directeur du musée et du pôle Courbet à Ornans, elle est commissaire d’une exposition inédite dans son propos rassemblant près de soixante œuvres qui racontent la popularité du thème aux XVIe et XVIIe siècles et sa résurgence au XIXe siècle.
La maison où Gustave Courbet a passé sa jeunesse était tout indiquée pour accueillir la manifestation : dans un essai du catalogue, l’historien de l’art Bertrand Tillier montre comment la Franche-Comté a été, pour le peintre, ce paradis de l’enfance où il est venu se ressourcer toute sa vie jusqu’à son exil en Suisse. Le tableau phare du musée, Le Chêne de Flagey (1864), figure dans le parcours, mais aussi le Portrait de Jean Journet partant à la conquête de l’harmonie universelle (1850). L’amitié qu’il portait à ce fouriériste rappelle que Courbet était un utopiste.
Malgré l’omniprésence de l’expression « âge d’or » dans notre culture, le mythe n’est plus familier au public du XXIe siècle. Le parcours, qui mêle des œuvres d’époques différentes à l’exception de la dernière section presque entièrement consacrée au début du XXe siècle, permet de comprendre sa plasticité à travers le temps. Grâce aux textes de salle et aux cartels augmentés (repris dans le catalogue), le visiteur repère les éléments qui caractérisent son iconographie. Elle dérive des éditions d’Ovide, telle celle de 1583 de Jean de Tournes illustrée par Bernard Salomon – un véritable « best-seller » de l’époque, selon Élinor Myara Kelif. On y découvre le paysage agrémenté d’un cours d’eau (un ruisseau de lait, en principe), l’arbousier où l’on cueille des fruits, le chêne qui donne « les glands tombés du grand arbre de Jupiter » et les mortels qui vivent là « tranquilles ». Dans l’huile sur bois L’Âge d’or (1598), le maniériste hollandais Hendrick Goltzius ajoute le dieu Saturne et le vent du printemps éternel, le doux Zéphyr. L’Âge d’or de Lucas Cranach (v. 1534) n’a pas fait le voyage depuis Oslo, mais il est présent grâce à un papier peint ornant la salle « Images de l’âge d’or ». On y trouve pour la première fois une ronde, thème central qui persistera jusqu’à Matisse dont est présentée une similigravure du Bonheur de vivre (auteur inconnu, 1912). Cette ronde, le public y entre naturellement en faisant le tour du magnifique vase L’Âge d’or d’Aimé Jules Dalou (1888) sur lequel elle figure.
Dans sa quatrième Bucolique composée vers 40 avant notre ère, le poète latin Virgile annonçait le retour de l’âge d’or – il faisait allusion à la paix entre Octave et Marc Antoine. Ce texte est à l’origine de l’interprétation politique du mythe telle qu’on la trouve dans L’Âge d’or de Jacopo Zucchi (v. 1570). Cette élégante huile sur bois, peinte pour le cardinal Ferdinand de Médicis, répondait à un projet du même titre de Vasari pour le duc François Ier de Médicis et dont un dessin préparatoire est prêté par le Louvre. L’œuvre de Zucchi prédit ce nouvel âge d’or qu’incarnera un jour Ferdinand, le frère cadet du très détesté duc.
Jean Auguste Dominique Ingres ou Pierre Puvis de Chavannes s’inspirent à leur tour d’Ovide en mettant en parallèle l’âge d’or et l’âge de fer, tandis qu’en 1910-1912 Maurice Denis peint un âge d’or édénique pour l’hôtel particulier du duc de Wagram. Cependant, on retient surtout que le XIXe siècle a mis en avant le texte de Virgile, dans la lignée des socialistes utopistes Claude Henri de Rouvroy de Saint-Simon et Charles Fourier. Les peintres engagés Dominique Papety, Paul Milliet, Léon Frédéric, Victor Prouvé représentent ce futur âge d’or et l’anarchiste Paul Signac reprend l’iconographie ovidienne dans Au temps d’harmonie [voir ill.], grand décor dont l’esquisse (1893) séduit par sa touche très libre. Le parcours s’achève sur la tapisserie de lice L’Âge d’or (1966) d’après le tableau d’André Derain (entre 1938 et 1944), vision désespérée, en accord avec l’époque, d’un monde primitif où l’homme affronte les bêtes sauvages.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°615 du 7 juillet 2023, avec le titre suivant : L’âge d’or, un mythe qui traverse le temps