Art contemporain

La réalité tremblante de Philippe Cognée

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 23 juin 2023 - 514 mots

LE MANS

Le peintre poétise, plus qu’il ne sublime, le paysage, l’immeuble, ou la chaise, parmi les motifs de ses toiles montrées au Mans.

Le Mans (Sarthe). Une des premières toiles de l’exposition de Philippe Cognée, organisée par le critique d’art Philippe Piguet au Musée de Tessé, est un paysage en apparence classique. Pourtant le spectateur ressent que cette vue d’arbres sur un fond vaguement vallonné ne correspond pas à une image véritablement fidèle de la réalité. C’est la lecture du titre de cette œuvre, Paysage vu du train n° 8 (2013), qui explique l’aspect flouté de cette plaine de la Beauce traversée en TGV. Un souvenir lointain des futuristes, dont le programme consistait à exalter les nouveaux mythes de la société contemporaine, la machine et le dynamisme ? Peut-être, mais sans la prétention de ces artistes qui croyaient en la possibilité de traduire littéralement la vitesse sur une surface plane. Plus modestement, le peintre affirme dans le catalogue, que, « plus que l’image du paysage, c’est celle du passage du temps de sa vision qu’[il] restitue dans [s]on tableau ». Ajoutant : « Jadis, on peignait sur le motif ; aujourd’hui, on l’attrape en plein mouvement. »

En réalité, c’est la peinture de Cognée qui semble rejeter l’immobilité, à travers son emploi de l’encaustique, une technique à base de pigments de couleur et de cire d’abeille. Déposés sur un support que l’artiste recouvre d’un film plastique, ces mélanges sont réchauffés et écrasés à l’aide d’un fer à repasser. Liquéfiées, diluées dans la matière, les formes sont dilatées, brouillées. C’est ainsi que les paysages urbains, essentiellement des immeubles gris et rectangulaires, ces barres que l’on voit mais que l’on ne regarde pas, perdent de leur rigidité grâce à la géométrie tremblante de Cognée (Immeuble Beaulieu, 1997). Sans reprendre le titre de l’exposition « Le réel sublimé » – le sublime n’a pas sa place chez Cognée –, c’est d’une réalité poétisée que l’on peut parler.

Deux salles du musée présentent ce type d’architecture, mais également des objets prosaïques que rien n’a prédestiné à une gloire artistique : une bibliothèque, une chaise, un mur à l’état délabré. Et pourtant, une simple chaise, magnifique, tombée au sol et comme irradiée par une lumière diffuse, semble légèrement suspendue (La Chaise blanche renversée, 2021). Chez Cognée, la matière, dématérialisée, s’effrite, la frontière entre le solide et le vaporeux s’efface. Partant d’un cliché pris par lui-même, l’artiste réussit à soustraire les objets réels à leur environnement, à les investir d’un pouvoir étranger à leur fonction. Le spectateur ne peut que constater la dissolution de cette représentation, le blanchissement progressif de l’image, proche de la disparition.

Le parcours propose d’autres thèmes : des fleurs immenses en gros plan, des forêts touffues qui se frottent à l’abstraction, des autoportraits – un peu trop chargés en pathos – ou encore des destinations éloignées telles qu’Ankara et São Paulo. Il se termine sur un autre voyage, autour de l’atelier : les images captées par Google Earth exploitées par l’artiste. Avec SUUO (2007), ce sont des toits d’immeubles survolés. Aplatis, ces cubes se transforment en un alphabet étrange et incompréhensible. Pour Cognée, la peinture est avant tout une question de point de vue.

Philippe Cognée, Le réel sublimé,
jusqu’au 5 novembre, Musée de Tessé, 2, av. de Paderborn, 72100 Le Mans.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°613 du 9 juin 2023, avec le titre suivant : La réalité tremblante de Philippe Cognée

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