WATTWILLER
Sous le titre « Les territoires de l’eau » sont réunis objets et artefacts issus de cultures parfois lointaines. Le parcours évoque, à côté du rêve et du rapport au sacré, le sujet des migrations contraintes.
Wattwiller (Haut-Rhin). Indispensable à la vie, l’eau fait partie des quatre éléments, avec l’air, le feu et la terre, considérés comme les composants de l’univers. Depuis toujours, les hommes ont cherché à se fixer à proximité des sources aquatiques et, quand elles leur étaient nécessaires, à les détourner pour les rendre disponibles. Les œuvres issues des collections du Musée du quai Branly-Jacques Chirac et celles appartenant à la Fondation François Schneider témoignent de l’omniprésence de la représentation de l’eau dans le domaine artistique.
Le parcours commence par les aspects les plus techniques de la rétention de l’eau : des barrages, présents dans les photographies d’une froide objectivité d’Édouard Decam (2008), des digues, des réservoirs et des canaux. Puis c’est la pêche, illustrée par des nasses tressées de forme variée venant du Tchad, du Cameroun, du Vietnam, ou encore par des hameçons, véritables petites sculptures. Enfin, ce sont des photos de personnes se protégeant de la pluie ou, nettement plus menaçant, d’un tsunami.
Rapidement toutefois, le visiteur découvre que même dans cette partie de l’exposition, la plus prosaïque, la quête d’eau n’est jamais un acte anodin. Il suffit d’observer les masques-poissons nigériens que le chaman porte lorsqu’il s’adresse aux esprits aquatiques pour constater l’importance du sacré dans ce type de rituel. C’est cette dimension qui est la plus intéressante dans les sections dénommées joliment « Imaginaire liquide » et « Territoire du sacré ». Marie Terrieux, directrice de la Fondation et commissaire de l’exposition avec Constance de Monbrison et Aurélien Gaborit, tous deux conservateurs au Quai Branly, dit vouloir présenter « les préoccupations communes d’artistes et créateurs de différentes époques et de différents continents […] où l’homme communie avec la nature et le sacré». Pour elle, l’eau est au cœur des mythes fondateurs que l’on retrouve dans l’ensemble des civilisations et des religions.
De fait, la qualité principale des « Territoires de l’eau » est de réussir, à l’aide de la scénographie discrète et élégante d’Olivia Berthon, une cohabitation sans heurts entre objets et artefacts provenant de cultures éloignées. Qu’elles soient explicites, comme cette toile aborigène dont le titre est Rêve associé au trou d’eau Kulardja (Jones Jalyirri Harry, 1990) ou cette Pierre à magie canaque , ou suggestives, tel le magnifique Mur de larmes d’Hélène Mugot (1992), fait de 400 gouttes de cristal, les œuvres évoquent toutes le même thème.
Le dernier chapitre, « Géographie des traversées », quitte l’intemporel et ramène le spectateur à une réalité moins poétique. La traversée s’ouvre aisément à la rêverie, au dépaysement comme dans Focus on Infinity (2015) de Mathilde Lavenne, où une rivière coule entre des montagnes du Grand Nord. Plus ambiguë est la pirogue de la Polynésie française ; cet objet exotique est désormais associé aux personnes dont le déplacement, ou plutôt l’errance, est imposé par des événements d’ordre économique et politique. Une autre œuvre restitue un voyage sans issue : Murs (2015), de Mehdi Meddaci, est une installation filmique qui s’étale sur cinq écrans géants. Le récit, sans pathos, met en scène un aller-retour du père de l’artiste entre Marseille et Alger. Une simple histoire familiale ? Pas seulement : une manière aussi de croiser souvenirs et histoire. Sans prétendre que l’eau conserve la mémoire, écoutons Borges : « Se pencher sur le fleuve, qui est de temps et d’eau / Et penser que le temps à son tour est un fleuve / Puisque nous nous perdons comme se perd le fleuve / Et que passe un visage autant que passe l’eau. »
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°569 du 11 juin 2021, avec le titre suivant : À la Fondation Schneider, l’eau à tous les étages