Répondant à l’invitation de la Fondation François Schneider, les œuvres créées par l’artiste restituent sa vision de l’élément aquatique, thématique centrale des lieux.
Wattwiller (Haut-Rhin). La Fondation François Schneider a cette particularité d’exposer des œuvres qui ont pour thématique commune l’eau. Organisée par Marie Terrieux, directrice du lieu, l’exposition qui a ouvert le 13 mai dernier, tourne donc naturellement autour de l’eau. Tourne ou plutôt tourbillonne car le sujet proposé est celui du déluge. L’option choisie par la commissaire n’est pas celle de décliner des travaux de différents artistes qui ont traité ce thème, mais de confier l’espace entier de la fondation à un seul artiste : Abdelkader Benchamma (né en 1975). Pari risqué mais réussi, car ce dernier, en occupant les trois étages, alternant sculptures et dessins muraux, toiles et films d’animation, a transformé le lieu en une œuvre d’art totale.
On est loin de l’imagerie consacrée qui tire ses origines de l’Ancien Testament, une vision moralisante liée à la punition divine, imagerie qui est devenue un lieu commun dans la culture occidentale. À la lecture du titre donné par l’artiste à son œuvre, « Géologie des déluges », on comprend que Benchamma cherche ailleurs la représentation de ce phénomène mythique inscrit dans notre imaginaire collectif. Dans sa quête, il se réfère également à des sources littéraires moins connues comme les textes sacrés iraniens, indiens ou chinois, ou encore au Coran. Pour autant, même si l’artiste part d’images et de documents qu’il a collectés à l’aide de ses assistants, il les métamorphose par son imaginaire et leur confère une apparence proche de l’abstraction.
Involontairement, sans doute, il s’inscrit dans la lignée des peintres ayant eu recours à ce sujet qui libère les éléments – tourbillons de vagues, pluie, air ou nuées –, qui avalent ou ravagent les formes et permettent un travail direct sur les effets chromatiques – William Turner, Le Jour après le déluge (1836) ou, un siècle plus tard, Vassily Kandinsky, qui emploie une violence semblable dans ses paysages apocalyptiques. Si Benchamma partage cette vision cosmique, chez lui, la violence n’est pas systématiquement présente. Ainsi, dans la salle principale de la fondation, des dessins sur panneaux et un grand dessin mural font apparaître des montagnes qui semblent sortir d’un rêve, des vagues qui ondulent sur des lignes de crête. Rien ne semble contenir ce déploiement comme s’il ne s’agissait que du fragment d’un paysage poétique. La série des travaux de petit format, elle, s’inspire d’un ouvrage du XVIe siècle, Le Livre de comètes. Suivant les croyances médiévales selon lesquelles l’eau et la vie sur terre proviendraient des comètes et des météores, ciel et terre s’unissent ou entrent en combat.
L’eau toutefois ne s’arrête pas à la surface de la terre, mais pénètre les strates superposées et creuse des grottes. Avec un ensemble récent de films d’animation (2023), nommé « Grotte céleste », l’univers de Benchamma se met en mouvement et se transforme en une planète mystérieuse et sombre où, de temps à autre, de petites figurines tentent d’avancer face à ce maelström aquatique.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°612 du 26 mai 2023, avec le titre suivant : Abdelkader Benchamma, l’eau à tous les étages