Discrète ingénue et muse raffinée, amie des peintres et des écrivains, Juliette Récamier a étalonné sa vie durant la mode et les beaux-arts, de Lyon à Paris et de Rome à Londres. De l’éducation sentimentale et intellectuelle de l’amante du siècle.
Elle trône, blanche et presque diaphane, sur son lit de repos. Allongée, elle étend le bras droit sur la courbe de ses hanches et croise ses pieds nus avec une nonchalance tout étudiée. Le bouillonné de la robe semble contredire l’austérité de la composition. La nuque, elle, tient droite une tête fragile que coiffent des boucles éthérées, presque marmoréennes. En 1800, David fixe à jamais l’image célébrissime de Juliette (voir p. 52), reprise plus tard au crayon par Ingres : une femme simple et élégante, gracile et gracieuse, dont la désinvolture le dispute à l’apprêt. Une femme à l’abri d’un monde qu’elle connaît pourtant par cœur. Une femme dont la pose semble être une pause à l’heure où l’Histoire s’écrit par le sang versé et dans les cris jetés.
Nulle femme de son temps ne fut autant qu’elle courtisée, aimée, jalousée ou haïe. Pas même l’impératrice Joséphine dont elle devint une rivale malgré elle. À l’engouement d’une société pour les apparences baroques et les artifices maniérés, Juliette Récamier allait substituer une beauté simple comme un port de tête, épurée comme un drapé négligé. Car si elle aima le luxe, le calme et la volupté, Juliette préféra les perles aux diamants. Plus discrètes, et plus subtiles…
D’abord effacer un prénom, pour se faire un nom
Faire simple, cela peut commencer par élaguer un prénom. D’autant que Juliette naît à Lyon, en 1777, sous celui, improbable, de Jeanne Françoise Julie Adélaïde Bernard. Le père putatif, lui, n’entend pas non plus compliquer les choses : sa récente nomination parisienne au poste de receveur des finances l’invite à confier son bijou de fille aux soins bienveillants d’une tante sédentaire.
Juliette, elle, est encore une splendide adolescente de quinze ans, bourgeoise et civilisée, lorsqu’elle hérite d’un nom nouveau, d’une fortune colossale et d’un secret inavouable. Car son mariage en 1793 avec le banquier Jacques-Rose Récamier, pourvoyeur d’or et de promesses, peut-il faire oublier que sous le visage de cet aîné de vingt-sept ans se cache celui, par trop familier et familial, de son père probable ?
Désormais installée à Paris, au cœur du monde et des mondanités, Juliette découvre modestement, presque incidemment, le vrai trésor dont elle a hérité : une beauté irrésistible. Pour preuve tous ces hommes qui, de-ci, de-là, de son mari aux vicomtes, de Julien Bonaparte à Auguste de Prusse, la convoitent et la gâtent, la vénèrent et la supplient. Mais beauté n’empêchant pas vertu, la Vénus de Paris s’affiche désormais avec la parcimonie d’une vestale d’autant plus fantasmagorique qu’elle est inaccessible…
Très vite Récamier rayonne dans toute l’Europe
Le joyau trouve bientôt son écrin. En 1799, l’emménagement du couple Récamier dans l’hôtel Necker de la rue du Mont-Blanc ouvre le bal fiévreux des festivités. Là, dans ce palais rêvé de tous, réaménagé par Berthault et décoré par Jacob, la Lyonnaise reçoit ce que Paris, puis bientôt l’Europe, feront de mieux en matière de peinture, sculpture, musique et littérature.
Telle une Pompadour indifférente au théâtre des frivolités, Juliette réinvente la scène artistique depuis des coulisses admirables et admirées. Madame de Staël voue une amitié presque amoureuse à l’hôtesse magnétique tandis que Chateaubriand distrait la Belle lorsque David cesse quelques instants de la peindre.
L’ensorcellement s’exporte puisque Londres, en 1802, succombe bientôt aux charmes de cette femme vêtue d’une gaze transparente dont princes et duchesses exaltent la pureté iconique. Sans doute trop : les images archétypiques de Juliette, qu’elles soient de Chignard, Gérard ou Canova, ne parviennent plus à dissimuler la liste pléthorique des jaloux et des éconduits. Une faillite et une tentative de suicide plus loin, Juliette Récamier quitte Paris pour Rome, sommée par le régime napoléonien de fermer ce salon ouvert sur la Beauté.
De cures thermales en retraites helvètes, de villégiatures en séjours romains, Juliette voyage, convertissant l’Ancien Monde à un ordre nouveau, simple et splendide. Depuis sa nouvelle résidence parisienne de l’Abbaye-aux-Bois, elle s’évertue à faire le deuil d’une amie disparue – Germaine de Staël – et d’une liaison consumée – avec Chateaubriand (lire page précédente).
Les peintures et les bustes à son effigie saturent l’espace de la presse. Coiffeurs, parfumeurs et tapissiers célèbrent cette geisha de civilités, suffisamment libérale et licencieuse pour autoriser chez elle la première lecture des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand (1826) et de La Peau de chagrin d’Honoré de Balzac (1831).
D’Ampère à Goethe en passant par Champollion, tous les chemins mènent à Juliette Récamier, morte aveugle en 1849 pour avoir, quatre régimes politiques durant, ébloui le monde. Une étoile, donc. Une star, certainement.
1777
Naissance à Lyon.
1787
Rejoint sa famille à Paris.
1793
Elle est mariée à un ami de la famille, un riche banquier.
1805
Refuse d’entrer à la cour de Napoléon. Faillite de la Banque Récamier.
1807
Histoire d’amour compliquée avec le prince Auguste de Prusse. Elle tente de se suicider.
1811
S’installe à Lyon.
1812
À Rome, elle rencontre le sculpteur Antonio Canova.
1817
À Paris, elle rencontre Chateaubriand.
1846
Devient aveugle.
1848
Chateaubriand meurt dans ses bras.
1849
Succombe à l’épidémie de choléra à Paris.
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Juliette Récamier, la muse et ses pygmalions
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Abonnez-vous dès 1 €« Chateaubriand ou rien ! », ce serait exclamé Hugo. Né à Saint-Malo en 1768 et mort à Paris en 1848, l’écrivain et homme politique incarne le génie français du XIXe siècle. Rival de Bonaparte, Chateaubriand fréquente le salon de Juliette Récamier dont il est l’ami. Dans ses Mémoires d’outre-tombe, il écrit à propos de leur rencontre : « J’étais un matin chez madame de Staël, […] entre tout à coup madame Récamier vêtue d’une robe blanche. Elle s’assit au milieu d’un sofa de soie bleu. Madame de Staël […] continua sa conversation […]. Je répondais à peine, les yeux attachés sur madame Récamier. Je me demandais si je voyais un portrait de la candeur ou de la volupté. Je n’avais jamais inventé rien de pareil. »
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°613 du 1 mai 2009, avec le titre suivant : Récamier