Le photographe réédite chez Delpire son livre culte Exils en même temps qu’il bénéficie d’une rétrospective à Madrid. Mais qu’est-ce qui fait marcher Joseph Koudelka ?
Durant vingt ans, Joseph Koudelka a été en exil et, pendant dix-sept ans, un homme sans passeport. Ni l’obtention en 1984 d’un passeport français ni le retour à Prague en 1990 n’ont pour autant modifié sa manière de vivre, d’être. Sa radicalité, l’expression de sa liberté et son besoin de voyager demeurent intacts. À Madrid lors de l’inauguration de la rétrospective organisée par le Art Institute of Chicago et le J. Paul Getty Museum en association avec la Fondation Mapfre, le photographe l’a rappelé : « Je ne suis jamais resté plus de trois mois dans un pays car je suis intéressé par ce que je vois. Après, si je reste plus longtemps, je deviens aveugle. »
Comme l’écrit l’écrivain polonais Czeslaw Milosz, Prix Nobel de littérature, en prologue du livre Exils de Josef Koudelka que viennent de rééditer les éditions Delpire, « L’exil est destructeur, mais s’il ne réussit pas à vous détruire, il vous rend plus fort. » Indéniablement, et le photographe à 77 ans le reconnaît, Exils reflète sa vie et ces années durant lesquelles il a choisi d’arpenter le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie, la France et la Grèce, porté par son « désir de voir le monde, de photographier et de développer une expérience ».
S’exprimer par l’image
Cette dimension du libre arbitre et cette recherche de ce que les gens ou les situations peuvent avoir de commun avec lui, ou du moins de ce qu’ils expriment, on les retrouve dans toutes leurs dimensions à la Fondation Mapfre à Madrid, où la rétrospective sur l’œuvre du célèbre photographe, la première du genre, finit son itinérance. Dès le début, Matthew S. Witkovsky, conservateur et président du département de la photographie du Art Institute of Chicago, le fait comprendre en ouvrant sur ses portraits en plan rapproché de comédiens interprétant Ubu Roi, Le Roi Lear ou Les Entretiens d’Ostende de Michel de Ghelderode, que Josef Koudelka réalise à Prague dans différents théâtres durant les années 1964-1968. L’ingénieur en aéronautique qu’il est alors trouve déjà dans la photographie les mots qui lui permettent d’exprimer ce qu’il ressent de son époque, de ce qu’il découvre (les Gitans, leurs campements et leurs villages en 1961-1962), de ce qu’il veut aussi expérimenter en trouvant dans le tirage la possibilité de retrouver la puissance du trait, du graphisme d’un dessin, d’une peinture ou d’une sculpture. Moins connus que les Gitans, la série de photographies abstraites, esthétiques et très graphiques montrées ici n’est pas sans faire penser à certaines œuvres de Picasso, de Giacometti ou de « photographies de Jaroslav Rössler », précise Matthew Witkovsky.
Une entière liberté
En posant en regard les trois grands travaux que mena de front Josef Koudelka durant ces années 1960, jusqu’à l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie, le responsable du département de la photographie du Art Institute of Chicago éclaire ce qui a fait le regard de Koudelka et que l’on retrouve dans ses séries iconiques des Gitans, Exils, ou sur Prague lors de l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie le 21 août 1968, jusqu’à ses deux derniers travaux, Chaos et Mur. À Madrid, la traversée de ces différents temps, la puissance de chaque image (il n’y a vraiment rien à jeter chez Koudelka) évoquent le positionnement d’un homme vis-à-vis du médium et de ce qu’il choisit de vivre, que ce soit avec les Gitans ou les manifestants à Prague, sans être photojournaliste.
Aujourd’hui comme hier, Joseph Koudelka refuse d’être enfermé dans un genre ou dans un registre. « Une photo est bonne ou elle ne l’est pas. » Aux côtés de ses photographies, en particulier des originaux tirés de ses mains, de l’exposition « Les Gitans, photographie 1961-1966 » organisée au théâtre Za Branou en 1967, et jusqu’à présent jamais montrés, maquettes de livre et livres font comprendre la grande importance portée à l’articulation des images entre elles. La carte d’Italie stabilotée et annotée sur plus de trente années de séjours forme quant à elle une constellation de points d’ancrage terrestres d’un homme libre autant qu’il peut l’être.
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Joseph Koudelka, en perpétuel exil
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°683 du 1 octobre 2015, avec le titre suivant : Joseph Koudelka, en perpétuel exil