Art ancien

XVIIE SIÈCLE

Jean Daret, une monographie ancrée dans son territoire

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 13 septembre 2024 - 913 mots

AIX-EN-PROVENCE

Le Musée Granet offre une première rétrospective sur ce peintre hollandais actif en Provence durant le Grand Siècle. L’exposition s’appuie sur le patrimoine conservé dans les églises et monuments de la région.

Vue de l'exposition « Jean Daret. Peintre du Roi en Provence », Musée Granet, Aix-en-Provence. © Musée Granet.
Vue de l'exposition « Jean Daret. Peintre du Roi en Provence », Musée Granet, Aix-en-Provence.
© Musée Granet

Aix-en-Provence (Provence-Alpes-Côte d’Azur). Après une exposition sur la vie artistique au XVIIe siècle au Musée de Besançon, une autre consacrée à Nicolas Coypel (1690-1734) au Musée des beaux-arts de Rennes, c’est Aix-en-Provence qui met en lumière le « Grand Siècle », plus que jamais tendance dans les musées français. Avec son local de l’étape, Jean Daret (1614-1668), le Musée Granet tient un représentant illustre de la vie artistique provençale, mais aussi parisienne sous le règne de Louis XIV. Jean le Bruxellois, qui s’installe en 1636 à Aix-en-Provence, n’avait jamais fait l’objet d’une rétrospective : le catalogue de l’exposition, qui concentre les vingt ans de recherches de la commissaire Jane MacAvock, fait d’ailleurs office de catalogue raisonné pour l’œuvre de l’artiste.

Mais le parcours du Musée Granet ne se limite pas à une ambition strictement monographique, et souhaite faire de l’exposition un moment de valorisation du patrimoine disséminé sur le territoire aixois. De manière assez rare en France, le commissariat associe le musée, et sa conservatrice Paméla Grimaud, l’historienne de l’art Jane MacAvock, mais aussi la direction régionale des Affaires culturelles (Drac), représentée par le conservateur des monuments historiques Pierrick Rodriguez. Car nombre d’œuvres du peintre sont encore conservées in situ, dans les églises des Bouches-du-Rhône, du Var et du Vaucluse : la participation de la Drac dans ce commissariat fait du parcours une invitation à sillonner les routes provençales.« C’est une prise de conscience importante de l’existence de ce patrimoine local, se réjouit Jane MacAvock. La démarche est plutôt rare en France. En Italie, c’est quelque chose qui se fait souvent. »

Un parcours dans et hors-les-murs

Conformément à l’esprit de cette exposition dans et hors-les-murs, la plupart des œuvres ont été laissées dans leurs églises. L’historienne de l’art a tout de même fait venir depuis la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence son œuvre préférée : la Crucifixion avec la Vierge des sept douleurs (1640). Ce thème iconographique typiquement provençal ouvre le parcours : l’œuvre déploie immédiatement toutes les qualités, et les références caravagesques du peintre établi en Provence. La vision rapprochée de ce grand tableau d’autel, habituellement regardé avec plus de distance, permet immédiatement d’apprécier le goût pour le détail dont fait preuve Jean Daret, dans la représentation des pieds et des mains, l’effeuillement des pages d’un livre, ou même dans un petit cochon noir que Jane MacAvock, elle-même, a redécouvert avec ce réaccrochage.

Jean Daret (1613-1668) et Nicasius Bernaerts (1620-1678), Portrait de Robert du Pille en chasseur, 1661, huile sur toile, 131 x 179 cm, Paris, Musée de la Chasse et de la Nature. © Studio Sebert / photo Béatrice Hatala
Jean Daret (1613-1668) et Nicasius Bernaerts (1620-1678), Portrait de Robert du Pille en chasseur, 1661, huile sur toile, 131 x 179 cm, Paris, Musée de la Chasse et de la Nature.
Photo Béatrice Hatala
© Musée de la Chasse et de la Nature
© Studio Sebert

Pour présenter le cheminement complexe de ce peintre – né à Bruxelles, formé à Paris, passé par l’Italie, puis actif en Provence –, le parcours n’adopte pas un déroulé purement chronologique. Pour ne pas assommer le visiteur, l’exposition veille également, dans son séquençage thématique, à alterner grandes peintures religieuses et commandes privées. Les efforts des commissaires sont aidés par la versatilité du peintre à ses débuts, qui adapte ses références selon la commande, et dont la facture est grandement variable selon le prix qu’est prêt à payer le client. La capacité d’invention du peintre s’envole dans ses grandes commandes, comme dans un Don du Rosaire (1643) où un petit chien, une chandelle dans la gueule, fait le lien entre le registre bas et la scène principale en laissant pendre sa patte.

Un ensemble de portraits de saints, réalisés pour la chapelle Notre-Dame de-Consolation à Aix-en-Provence, démontre également la virtuosité du peintre et une attention toute particulière aux points de jonction entre la figure et les parapets en pierre qui le sépare du spectateur : par un jeu subtil de trompe-l’œil et de débordement des drapés sur la pierre, il réduit la distance entre les croyants et les figures saintes.

Le Musée Granet a également sollicité d’importants prêts pour ne pas limiter cette exposition aux sujets religieux. Une Joueuse de Luth (1638), venue du Musée de New Haven, retrouve ainsi son pendant, un Guitariste conservé à Aix. Ces deux magnifiques portraits ont été rejoints par un troisième, un chef-d’œuvre récemment redécouvert, et acquis par le Musée de la Chasse et de la Nature (Paris), le Portrait de Robert de Pille en chasseur (1661) [voir ill.], qui évoque par ailleurs la seconde période parisienne du peintre, à la fin de sa vie, encore peu connue.

Au cours du montage de l’exposition, les commissaires ont dû faire de la place pour une arrivée inespérée : celle d’un ensemble de dessins inédits sur le marché, qui multiplie par deux la taille du corpus de dessins signés Jean Daret. Une dizaine de ces feuilles, dont certaines ont été acquises par le musée, sont ainsi présentées dans le parcours, et intégrées au catalogue.

À l’occasion de l’exposition, un programme de recherche a été lancé au Centre interdisciplinaire de conservation et de restauration du patrimoine (CICRP) de Marseille, avec neuf œuvres restaurées, et une vingtaine étudiées. Cette étude matérielle inédite, qui fait l’objet d’un chapitre du catalogue, éclaire les matériaux employés et les techniques du peintre. Associées à un corpus largement agrandi, les pistes de recherche sur Jean Daret s’ouvrent largement.

Hors du musée, s’il ne faut voir qu’une œuvre in situ du peintre, c’est certainement le décor réalisé pour l’hôtel de Châteaurenard, en plein cœur du Vieil Aix. Le décor en trompe-l’œil, lui aussi récemment restauré, est une merveille de complémentarité entre architecture et peinture. À l’issue de l’exposition, cette découverte vient conforter l’impression d’un peintre qui disposait d’un véritable génie spatial, et d’une sensibilité certaine pour l’architecture.

musée granet,
place Saint-Jean-de-Malte, 13100 Aix-en-Provence.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°638 du 6 septembre 2024, avec le titre suivant : Jean Daret, une monographie ancrée dans son territoire

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