Art ancien

Quand la France rêvait d’être la nouvelle Rome

À Dijon, Caen et Blois, images variées du Grand Siècle

Par Jean-François Lasnier · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 1998 - 1853 mots

Le Grand Siècle est une expression commode pour désigner le XVIIe. Elle dissimule une multitude de courants artistiques et d’inflexions contradictoires, dont l’opposition classique/baroque ne saurait rendre compte. Plusieurs expositions, à Caen, Blois et surtout Dijon, livrent une vision renouvelée de cette époque pendant laquelle s’épanouit un art authentiquement français, filtrant les leçons de l’Italie et de l’Antiquité au service d’un idéal à la fois de grandeur et de grâce.

La réputation artistique de Dijon, capitale des ducs de Bourgogne, s’est bâtie sur l’art du XVe siècle, celui des sculpteurs comme Claus Sluter, avant que Pierre Paul Prud’hon, l’enfant du pays, ne vienne apporter un surcroît de fierté à la cité bourguignonne. Les musées sont un autre sujet d’orgueil, et les nombreuses œuvres remarquables du XVIIe qu’ils possèdent, justifient l’accent mis sur le Grand Siècle cet été à Dijon. Créé en 1938 dans un hôtel particulier construit entre 1652 et 1681, et donné avec ses collections par Maurice Magnin et sa sœur Jeanne, le Musée Magnin possède plusieurs toiles françaises du XVIIe d’une qualité exceptionnelle. Autour de Lubin Baugin, Laurent de la Hyre, Eustache Le Sueur ou Charles-Alphonse Dufresnoy, il a souhaité mettre en avant un moment de l’art français qui a fait sien un idéal de grâce et d’équilibre issu de l’Antiquité : l’atticisme. Alors qu’approchent la fin du règne de Louis XIII et les troubles de la Régence d’Anne d’Autriche, s’esquisse chez les peintres et les sculpteurs, mais aussi parmi les écrivains, une aspiration à un art plus serein et plus épuré. Celle-ci n’est cependant pas hégémonique – comme le souligne le sous-titre de l’exposition –, ce n’est qu’un courant de l’art sous la Régence, laquelle voit le lancement d’une véritable offensive baroque, soutenue par Mazarin. Le prélat romain, zélateur de l’art italien, fait ainsi appel à Giovan Francesco Romanelli, l’élève de Pierre de Cortone, pour peindre les galeries de son palais. Dans cette même demeure, le cardinal conserve une extraordinaire collection d’antiques, goût qu’il partage avec tous les amateurs et les artistes de son temps. Dans une capitale aspirant au statut de Rome moderne, dirigée par un nouvel Auguste, l’inspiration antique prend l’allure d’un manifeste.

Mieux qu’aucun autre, cet art est capable d’exprimer l’idéal de grâce et de grandeur que poursuivent aussi bien les grands du Royaume que les artistes. La retenue expressive venue de l’Antiquité est heureusement tempérée par l’élégance et la séduction de l’École de Fontainebleau, dont l’ascendant sur l’art français du XVIIe est incontestable. Un sujet comme Diane découvrant la grossesse de Callisto, qu’il soit traité par Le Sueur ou Dorigny, tous deux formés dans l’atelier de Simon Vouet, appelle les mêmes commentaires : il y a une indéniable unité dans ce premier classicisme fortement influencé par Nicolas Poussin. Sa venue à Paris en 1640, à l’invitation de Louis XIII et de Richelieu, le pose en modèle et suscite une émulation féconde chez des peintres, et plus particulièrement Sébastien Bourdon et Jacques Stella, séduits par sa rigueur telle qu’elle s’exprime dans La Vierge à l’escalier. L’emprise du classicisme romain, diffusé concurremment par Poussin et les gravures d’après Raphaël, est tel qu’un tableau comme Clélie passant le Tibre avec ses compagnes, de Stella, évoque presque un néoclassicisme avant la lettre. Mais, si l’on observe une économie semblable dans la mise en scène, la générosité des coloris et des formes contraste heureusement avec l’austérité et la froideur des néoclassiques. La sculpture, baignée aux mêmes sources que la peinture, présente aussi un visage de paix et d’harmonie, sous le ciseau d’un Jacques Sarrazin par exemple. Ce dernier a laissé une empreinte durable de son art en sculptant, à la demande de l’architecte Jacques Le Mercier, les Cariatides du Pavillon de l’Horloge, au Louvre, puis en s’associant à François Mansart, à Blois et à Maisons.

Un Flamand à Versailles
Les œuvres illustrant cet éloge de la clarté ont été exécutées sous le ministère de Mazarin. Au début de son règne personnel, Louis XIV ne devait pas tarder à orienter la création vers la célébration de sa gloire, appelant à ses côtés les meilleurs artistes du temps. Charles Le Brun sera le grand ordonnateur des fastes royaux et, pour faire face à cette tâche colossale, il s’entoure d’une armada de peintres, de sculpteurs, de tapissiers… parmi lesquels émerge la figure d’Adam Frans van der Meulen (1632-1690), recherché pour son talent de peintre de batailles et de paysagiste, qui entre au service du roi en 1664. Tous les écoliers de France connaissent les tableaux de Van der Meulen illustrant les conquêtes de Louis XIV, et notamment la campagne de Flandre, dans une veine volontairement documentaire. De nombreux voyages du peintre sur les lieux mêmes des exploits royaux, afin d’y réaliser dessins et relevés, constituaient l’indispensable prélude à leur représentation.

Représentation, le terme semble d’ailleurs parfaitement approprié, tant les protagonistes de l’action, disposés au premier plan de paysages panoramiques, apparaissent comme devant la toile peinte d’un décor de théâtre. Mais l’activité de Van der Meulen ne s’est pas limitée à la peinture de chevalet. Il a fourni une quantité impressionnante de dessins et de cartons pour les tapisseries de la Manufacture des Gobelins, dirigée par son ami Le Brun, et plus particulièrement pour la fameuse Tenture de l’histoire du Roi. Avec le premier peintre du Roi, il devait également collaborer au décor de l’escalier des Ambassadeurs à Versailles, achevé en 1680, pour lequel il exécute quatre peintures murales célébrant les principales victoires de la guerre de Hollande (1677) : la Reddition de la citadelle de Cambrai, la Prise de Valenciennes, la Bataille de Mont-Cassel et la Prise de Saint-Omer. Au pavillon royal de Marly, il continue la série des conquêtes du Roi avec quatorze grands tableaux, dont six sont présentés à Dijon. Si Van der Meulen n’a pas été un inventeur de formes, il s’est en revanche affirmé comme un fin observateur de la nature, excellant dans le paysage et le dessin des chevaux, en digne héritier de la tradition flamande.

Eaux-fortes d’Italie
Également peintre de batailles, Stefano Della Bella (1610-1664) a été un graveur célèbre qui a séjourné quelques années en France, où l’art italien continuait de trouver un terrain privilégié de diffusion. Ainsi arrive-t-il à Paris, en 1639, dans la suite d’Alessandro del Nero, envoyé en mission extraordinaire auprès de Louis XIII par le grand-duc de Toscane, Ferdinand II de Médicis. Il y reste jusqu’en 1650, avant de fuire les troubles de la Fronde et de retourner dans son pays. À Paris, il ne tarde pas à recevoir des commandes des plus hauts personnages de la cour : Richelieu, en 1641, le charge de dessiner et graver le siège d’Arras, puis Mazarin lui demande quatre jeux de cartes pour le jeune Louis XIV. Il livre par ailleurs de nombreux travaux aux éditeurs et marchands d’estampes parisiens, notamment un frontispice pour les Œuvres de Scarron (1649). Tout au long de sa carrière, Della Bella a bénéficié de la protection des Médicis pour lesquels il a gravé plusieurs séries, devenant ainsi le chroniqueur des événements de son temps. Les 250 estampes et dessins exposés au Musée des beaux-arts de Caen donnent la mesure d’une œuvre brassant avec aisance tous les thèmes, du paysage aux batailles, des fêtes aux allégories, des caprices aux mythologies… Il grave ainsi les funérailles du prince François de Médicis, des représentations théâtrales à la cour, des villas comme celle de Pratolino, ou encore des vues du port de Livourne. Toujours grâce aux Médicis, il séjourne à Rome où, selon Baldinucci, il fait “ses délices” des antiquités et des ruines. À côté de cette pompe, de cette magnificence, l’œuvre de Della Bella possède un versant plus sombre, hanté par la mort, omniprésente dans l’Europe du XVIIe siècle, toujours minée par les grandes épidémies.

Un squelette grimaçant, inspiré des danses macabres des siècles précédents, donne forme à cette peur dans la série des Cinq Morts. Nombre d’estampes montrent qu’à l’instar d’un Jacques Callot, son contemporain auquel il a trop souvent été comparé sans raison, Stefano ne dédaigne pas un certain réalisme populaire, enrichi, comme dans Le forçat qui déplace une balle de marchandises, de subtiles notations atmosphériques.

Une anthologie de l’architecture française
Avec la peinture et la gravure, l’architecture tient une place de choix dans les expositions de l’été. Le château de Blois célèbre en effet le quatrième centenaire de la naissance de François Mansart, auteur de la splendide aile en fond de cour baptisée aile Gaston-d’Orléans. Éloigné de la capitale après la “grande Cabale”, le frère de Louis XIII avait trouvé refuge en 1634 sur les bords de la Loire, et décidé d’entreprendre d’importants travaux dans le château. Il s’était adressé à Mansart, dont le portail de l’église des Feuillants, et les châteaux de Berny et Balleroy avaient commencé d’asseoir la réputation. En fond de cour, l’architecte fait détruire le bâtiment ruiné de la “Perche aux Bretons”, en vue d’édifier un corps de logis neuf. Opération qui ne devait pas apporter trop de regrets aux contemporains, comme l’atteste le récit de Félibien : “Le bastiment neuf que le sieur Mansart a fait en place de ceux qu’on a abattus ne donne point sujet d’estre faché de leur démolition.” L’exposition que consacre Blois à cette réalisation majeure du classicisme français, à travers plus de 70 œuvres – dessins, gravures, plans, photographies, sculptures, peintures, peintures, maquettes et moulages –, retrace la genèse de cet ambitieux projet abandonné en novembre 1638, le prince ayant souhaité entre-temps se rapprocher de Paris. Ainsi, le majestueux escalier aux voûtes emboîtées projeté par l’architecte ne sera construit qu’au XXe siècle, selon les plans du XVIIe présentés ici. La relative infortune critique de Mansart au XIXe siècle avait fait échouer la tentative de Félix Duban pour enfin bâtir cet escalier. Ici comme ailleurs, l’architecture de Mansart témoigne d’une clarté dans l’ordonnancement, d’une retenue dans l’ornement, comparable à l’atticisme des peintres et des sculpteurs.

L’appel à Jacques Sarrazin et son équipe pour exécuter le décor sculpté semble donc naturel. Même si celui-ci est resté inachevé, les sculpteurs ont laissé quelques chefs-d’œuvre, tel le dôme du grand escalier. Grâce à ce corps de logis, qui s’ajoute à l’aile Louis XII en brique et en pierre, et à l’aile François Ier ponctuée du fameux escalier à vis, la cour du château de Blois se présente aujourd’hui comme une anthologie de l’architecture française. Pourtant, Mansart avait envisagé la destruction de cet ensemble unique afin de reconstruire complètement le château : des dessins exposés à Blois portent ainsi la mention “bastiment fait sur la cour” et “bastiment restant à faire”, et montrent un projet de reconstruction totale et de restructuration de la ville basse. A-t-il vraiment voulu raser les parties Renaissance du château, au risque de le priver du célèbre escalier François Ier ? La question n’a jamais été tranchée, même s’il est vraisemblable que ce grand dessein n’ait pas été dans les intentions du duc d’Orléans. Il ne serait alors qu’une preuve supplémentaire de l’imagination débordante de l’architecte. Cette fièvre créatrice ne doit cependant pas occulter les incontestables compétences techniques qui lui ont permis de diriger les restaurations et les opérations d’ingénierie au château de Chambord, toujours à la demande de Gaston d’Orléans.

A voir

ÉLOGE DE LA CLARTÉ, UN COURANT ARTISTIQUE AU TEMPS DE MAZARIN (1640-1660), jusqu’au 27 septembre, Musée Magnin, 4 rue des Bons-Enfants, 21000 Dijon, tél. 03 80 67 11 10, tlj sauf lundi 10h-12h et 14h-18h. Catalogue éd. RMN, 112 p., 76 ill. dont 16 coul., 145 F.

À LA GLOIRE DU ROI, VAN DER MEULEN, PEINTRE DES CONQUÊTES DE LOUIS XIV, jusqu’au 28 septembre, Musée des beaux-arts, Palais des États de Bourgogne, 21000 Dijon, tél. 03 80 74 52 70, tlj sauf mardi 10h-18h. Catalogue, 300 p., 250 ill. dont 200 coul., 250 F. broché, 340 F. relié.

A lire

STEFANO DELLA BELLA (1610-1664), 4 juillet-5 octobre, Musée des beaux-arts, Cabinet des arts graphiques, Le Château, 14000 Caen, tél. 02 31 85 28 63, tlj sauf mardi et jf 10h-18h. Catalogue sous la direction de Caroline Joubert, 144 p., 130 ill. dont 13 coul., 145 F.

FRANÇOIS MANSART À BLOIS, LE PRINCE ET L’ARCHITECTE, jusqu’au 30 août, château, 41000 Blois, tél. 02 54 74 16 06, tlj 9h-20h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°64 du 8 juillet 1998, avec le titre suivant : Quand la France rêvait d’être la nouvelle Rome

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