La bibliothèque municipale de Lyon propose la première rétrospective de la photographe, dont une partie des travaux sont justement des témoignages du patrimoine et des chantiers de restauration de la ville.
Lyon. Lorsqu’en 2018 Gilles Éboli, alors directeur de la bibliothèque municipale de Lyon, propose une résidence de trois ans à Jacqueline Salmon, il s’agissait alors de documenter le chantier de réhabilitation du silo, ce bâtiment de 17 étages conservant les trois millions de documents de la bibliothèque. De cette résidence sont nées trois expositions dont la dernière est une rétrospective de quarante années de travail. L’œuvre, étonnamment, n’avait jusqu’à présent fait l’objet d’aucune monographie. Que cette dernière se tienne non dans un musée mais dans une bibliothèque rappelle au passage la place de premier ordre que ce type de lieu tient dans la cartographie des établissements programmateurs d’expositions. Elle rappelle aussi la place centrale des livres dans l’œuvre de certains artistes, tels Matthew Barney ou Anselm Kiefer dont des expositions mémorables furent présentées respectivement en 2013-2014 et 2015-2016 à la Bibliothèque nationale de France. Celle de Jacqueline Salmon n’est pas moins importante bien que le budget expositions de la bibliothèque municipale de Lyon soit plus maigre, son bâtiment (situé juste en face de la gare de la Part-Dieu), guère engageant et l’espace d’exposition, plus réduit (200 m2). Ce qui n’empêche pas que le propos, le choix des thématiques, la scénographie, l’accrochage et l’éclairage variable d’une section à l’autre sonnent juste et suspendent le temps à ce que l’on voit, lit, entend.
Le premier chapitre, ouvrant sur Lyon et sa région, donne le ton. La ville natale de la photographe est le territoire de ses premières investigations photographiques sur le patrimoine architectural de la ville et sur ses chantiers de restauration. « Le Grenier d’abondance » (1991-1993), « 8 rue Juiverie » (1983) : à chaque série son type de présentation, rompant ainsi avec le traditionnel alignement de photographies encadrées, ses propres ouvrages dépliés se substituant parfois aux tirages photo. « J’ai commencé à faire de la photographie pour faire des livres », rappelle Jacqueline Salmon. Régulièrement s’opère une connivence entre certains livres du fonds ancien de la bibliothèque et des sujets qu’elle a traités. De cartel en cartel, la photographe livre ainsi des commentaires extraits de la monographie à paraître prochainement aux éditions Loco.
Jacqueline Salmon a assuré le co-commissariat de cette quasi autobiographie avec Thaïva Ouaki, responsable de l’artothèque et du département arts de la bibliothèque. Des livres, des auteurs et des rencontres qui « ont influé sur [sa] manière d’être et de penser » s’égrènent tandis que les étagères de « La bibliothèque de fantômes » qu’elle a imaginée pour l’exposition contiennent les planchettes et les cotes de tous les ouvrages de Jacques Derrida, Georges Didi-Huberman, Jean-Luc Parant, Jean Louis Schefer et de Jean-Christophe Bailly,« cinq auteurs sans qui [elle] ne saurait pas ce qu’elle serait ». Famille de pensée, questions politiques (de Clairvaux à Sangatte), études sur la représentation du perizonium (linge qui dissimule le sexe du Christ) ou variations sur le visible et l’invisible, sur les courants des marées ou des vents : l’écriture photographique se déploie, multiple, jamais redondante.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°565 du 16 avril 2021, avec le titre suivant : Jacqueline Salmon à livre ouvert