Art ancien

XIXE SIÈCLE

Ilya Répine à la reconquête de Paris

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 16 novembre 2021 - 822 mots

PARIS

Exposé de son vivant dans la capitale française où il séjourna longtemps, le peintre russe y est aujourd’hui méconnu. Il fait l’objet de sa première rétrospective française, présentée au Petit Palais.

Paris. Le Petit Palais poursuit son exploration du Paris artistique cosmopolite des années 1860-1900 avec le peintre russe Ilya Répine (1844-1930). Comme une centaine de ses compatriotes, Répine fit un long séjour en France à cette période avant de devenir l’artiste le plus reconnu de son pays. Il reste une gloire nationale : une importante exposition organisée voici deux ans au Musée russe de Saint-Pétersbourg a attiré 600 000 personnes ; c’est une sélection restreinte (une centaine d’œuvres) qu’en présentent les commissaires, Christophe Leribault, Stéphanie Cantarutti et Tatiana Yudenkova, pour cette première rétrospective en France. Les œuvres de Répine conservées hors des frontières russes sont d’ailleurs très rares : le Musée d’Orsay possède à peine une esquisse de sa main.

Un réalisme engagé

Ilya Répine fait partie des Ambulants, un groupe de peintres reniant l’enseignement académique tel qu’il était professé à Saint-Pétersbourg. Après une formation au dessin topographique puis à la peinture d’icônes dans la ville de Tchougouïev où il est né (actuellement en Ukraine), il se présenta à l’Académie impériale des beaux-arts de Saint-Pétersbourg en octobre 1863 ; c’est précisément un mois après que quatorze élèves de l’Académie firent sécession en prenant pour chef le peintre Ivan Kramskoï qui organisa le groupe en artel [coopérative russe de production], sur le modèle du phalanstère du Français Charles Fourier. Immédiatement adopté par l’artel et Kramskoï, le jeune homme entama cependant simultanément ses études à l’Académie en 1864.

Ces quatorze peintres qui participèrent à la fondation, en 1870, de la « Société des expositions artistiques ambulantes », destinée à diffuser l’art dans la Russie profonde, promouvaient la peinture réaliste et étaient démocrates. Ils étaient soutenus par les commandes de l’amateur d’art Pavel Tretiakov. Le premier tableau célèbre de Répine s’inscrit dans l’esprit des Ambulants, bien que le peintre n’ait exposé avec eux qu’à partir de 1874. Il a été commandé par le grand-duc de Russie Vladimir Alexandrovitch, vice-président de l’Académie et fils du tsar Alexandre II. Le tableau Les Haleurs de la Volga (1870-1873) est un manifeste réaliste et une célébration d’un peuple misérable et encore opprimé, même si Alexandre II avait aboli le servage en 1861. L’œuvre de grande taille fut généreusement prêtée par son commanditaire pour diverses expositions à travers l’Europe, lançant le jeune peintre à l’étranger. Une médaille d’or sanctionnant la fin de ses études lui permit d’obtenir une bourse pour poursuivre sa formation à l’étranger.

C’est à Paris, où Kramskoï a d’ailleurs vécu en 1869, que Répine décide de se rendre. Il y arrive en octobre 1873. Il admire Paul Delaroche, dont il connaissait déjà les œuvres, Henri Regnault, Alphonse de Neuville ou Mariano Fortuny. Il découvre l’orientalisme et son beau tableau, Femme noire (fin 1875-début 1876), présenté à Paris au Salon de 1876, en témoigne. Il reconnaît le talent novateur des impressionnistes, qui sont en train de s’affirmer en tant que mouvement, et assimile leur palette claire et leur traitement de la lumière, notamment dans ses œuvres réalisées en Normandie. Mais c’est avec une toile très décorative, Sadko dans le royaume sous-marin, inspirée du folklore russe et peinte à Paris en 1876, qu’il reçoit le titre d’académicien à Saint-Pétersbourg. À Paris, Répine peint également des portraits, dont Ivan Tourgueniev (1874), écrivain qui vit en France, pour Pavel Tretiakov, et Véra Répina enfant (1874). Cette dernière œuvre, tout comme Juif en prière (1875) et Ukrainienne (1875), montre la liberté de touche acquise pendant ces années françaises.

Des portraits éblouissants

Après son retour en Russie, en octobre 1876, le peintre s’attelle à représenter la société, y compris les révolutionnaires qui agitent le pays, ainsi que des scènes historiques. Il produit une peinture très descriptive – Procession religieuse dans la province de Koursk (1881-1883) est un étourdissant morceau de bravoure accumulant les études de visages, de costumes et d’objets – et souvent théâtrale, qui nous touche peu malgré son indéniable qualité technique. Ce sont les portraits qui nous éblouissent, ceux d’écrivains comme Modeste Moussorgski (1881, [voir ill.]) et Léon Tolstoï dans un fauteuil rose (1909) ou de musiciens tel Anton Rubinstein (1881), dans lequel le peintre fait passer toute son admiration et l’acuité de son observation.

À la gloire internationale (il reçoit même la Légion d’honneur en 1901) succède pour le vieux peintre la pauvreté. Il désapprouve la tournure que prend la révolution russe. La Finlande, où il a sa maison à Kuokkala, devient indépendante en 1918 et il vit donc désormais à l’étranger. Il rompt tout lien avec la Russie. Ses dernières œuvres, peintes sur un linoléum dont il laisse apparaître les motifs, témoignent d’un abandon du réalisme pour un expressionnisme lyrique singulier. Quasiment inconnu jusque dans les années 1980, le tableau Golgotha (1921), acheté par un Norvégien en 1927 puis donné à l’université de Princeton, n’a jamais été présenté en Russie.

Ilya Répine (1844-1930). Peindre l’âme russe,
jusqu’au 23 janvier 2022, Petit Palais-Musée des beaux-arts de la Ville de Paris, avenue Winston-Churchill, 75008 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°577 du 12 novembre 2021, avec le titre suivant : Ilya Répine à la reconquête de Paris

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