Art moderne

XXE SIÈCLE

Icônes de Jawlensky

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 2021 - 512 mots

Loin de tout cheminement théorique, le peintre russe est parvenu à l’abstraction en travaillant à des séries de paysages et de visages.

Marseille. Alexej von Jawlensky (1864-1941) est peu connu en France. D’une part, les collections publiques n’en conservent que quelques œuvres car il a essentiellement travaillé en Allemagne et en Suisse, et a beaucoup vendu aux États-Unis. D’autre part, il s’agit de l’un de ces artistes du XXe siècle que l’on ne peut classer facilement car ils se sont dérobés aux avant-gardes. Dans le livre qu’il lui a consacré,Jawlensky ou le visage promis(L’Harmattan, 1998), le commissaire, Itzhak Goldberg (collaborateur auJournal des Arts), écrivait :« [Il] fait l’expérience des frontières : entre l’expressionnisme et le fauvisme, entre la figuration et l’abstraction, entre le visage et l’icône. Cette position d’entre-deux, peu recommandable en histoire de l’art, fait de Jawlensky un “deuxième violon” dans l’orchestre de la modernité. »

Dans cette rétrospective d’une centaine d’œuvres, le Musée Cantini a jalonné le parcours de quelques références à d’autres artistes qui ont travaillé à ses côtés – sa compagne Marianne von Werefkin et le couple formé par Vassily Kandinsky et Gabriele Münter qui ont subi son influence – ou dont la fréquentation a pu l’inspirer : Pierre Girieud, André Derain, Maurice de Vlaminck, Georges Rouault qui étaient venus exposer en septembre 1910 avec la Nouvelle Association des artistes munichois (NKVM) qu’il avait fondée, ou Henri Matisse et Kees van Dongen, rencontrés à Paris en 1911.

Thème et variations

Les natures mortes, paysages et portraits des premières années tiennent de Paul Cézanne, Vincent Van Gogh ou Paul Gauguin. Mais le cœur de la création de l’artiste tourne autour d’un thème, le visage, et d’un mode de travail, la série. Réfugié en Suisse pendant la Première Guerre mondiale, Jawlensky a entamé son œuvre sériel en se concentrant sur un seul paysage dont il a peint quatre cents vues, toutes intituléesVariation, avec un sous-titre pour chacune, car il s’agissait pour lui d’un travail apparenté à celui d’un musicien sur un thème donné. Sa petite-fille, Angelica Jawlensky Bianconi, analyse avec pertinence son rapport à la musique dans le catalogue. On peut suivre son cheminement vers une abstraction non pas théorique mais aboutissement de sa recherche de la simplicité des formes exprimées uniquement par la couleur. À partir de 1915, il entame le même travail de simplification sur les visages (voir ses séries « Têtes mystiques », « Faces de Sauveur », « Têtes abstraites »). Dans ses souvenirs, il a mentionné l’intérêt qu’il portait aux icônes de son enfance,« une forme d’art merveilleuse que l’Europe connaît si mal ».Proche du mysticisme, interpellé par le bouddhisme, il recherchait la transcendance que dégagent ces représentations détachées du réalisme (il est permis de se demander aussi s’il n’a pas pu voir, chez Derain ou sur une photographie, le masque Fang que celui-ci avait acheté en 1905 à Vlaminck). À la fin de sa vie, à côté de natures mortes, Jawlensky a peint plus d’un millier de petits formats intitulésMéditation. Le visage y est réduit à une croix séparant des plages colorées. L’exposition en présente une quinzaine qu’un éclairage adéquat fait rayonner comme des gemmes.

Jawlensky, la promesse du visage,
jusqu’au 26 septembre, Musée Cantini, 19, rue Grignan, 13006 Marseille.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°571 du 9 juillet 2021, avec le titre suivant : Icônes de Jawlensky

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