NANTES
Le Musée d’arts de Nantes livre une histoire culturelle de l’hypnotisme, à laquelle les artistes ont largement contribué depuis la diffusion des travaux iconographiques de Charcot sur l’hystérie.
Nantes. Pascal Rousseau, à qui l’on doit le commissariat de remarquables expositions, dont « Aux origines de l’abstraction, 1800-1914 » (Musée d’Orsay, 2004), professeur à l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne et aux Beaux-Arts de Paris, est un chercheur reconnu. Il n’est donc pas étonnant que le catalogue de l’exposition « Hypnose », dont il est le commissaire avec Louise Denis, historienne de l’art, et Jean-Rémi Touzet, conservateur au Musée d’arts de Nantes, soit en réalité un livre. On pourrait même dire que le parcours est conçu pour étayer la thèse avancée par cet ouvrage qui propose un examen impressionnant des rapports entre l’art et l’hypnose depuis le XVIIIe siècle. Ceci fait la qualité de l’exposition mais constitue probablement également sa limite.
Le parcours, qui se divise en huit sections, s’ouvre sur ce qui était dénommé « magnétisme animal » ou « mesmérisme », appellation justifiée par le succès extraordinaire du médecin autrichien Franz Anton Mesmer (1734-1815) à Vienne, et plus tard à Paris. Ce dernier met au point une méthode de guérison à l’aide du rétablissement de l’équilibre du « fluide naturel », susceptible d’être canalisé dans le corps. L’équilibre peut être obtenu par un traitement collectif, les personnes étant réunies autour d’un baquet rempli d’eau et de limaille de fer magnétisée, dit « baquet de Mesmer ». Cet objet étonnant est présenté à Nantes. Les séances provoquent chez les patients – en majorité des femmes – des crises convulsives qui entraînent des guérisons. Cette classique pathologie à l’époque, l’« hystérie féminine », sera étroitement liée à l’hypnose qui, comme par un fait du hasard, fut pratiquée uniquement par les hommes. Si le débat sur un Mesmer charlatan ou précurseur du traitement par suggestion n’est pas tranché, on peut se ranger à l’avis de l’Académie des sciences, selon laquelle « le magnétisme sans l’imagination ne produit rien » (1784).
Les tableaux qui illustrent cette thérapie de groupe témoignent de la fascination de la société pour le phénomène décrit dans les célèbres leçons de la Salpêtrière dirigées par le neurologue Jean-Martin Charcot (Mesmeric therapy, 1778, anonyme). Les travaux pionniers de Charcot sur l’hystérie, les trois volumes de l’Iconographie photographique de la Salpêtrière (1876-1880) et de la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière (1888-1918) sont devenus pratiquement des catalogues pour les artistes, fascinés par la dimension dramatique de cette gestualité. En témoignent quelques œuvres des expressionnistes allemands, tel le Portrait du docteur Forel par Oskar Kokoschka (1910), mais surtout le cinéma avec le personnage (littéraire) terrifiant du docteur Mabuse, hypnotiseur criminel adapté par Fritz Lang en 1922. On connaît également l’intérêt d’Egon Schiele pour les expressions de la maladie mentale. Mais un des mérites de cette exposition foisonnante est d’exhumer des « cas » plus anciens, à savoir des artistes qui produisent des œuvres « sous la dictée d’une force extérieure », écrit Pascal Rousseau. Théophile Bra (1797-1863) et ses quelque 8 000 dessins fantasmagoriques anticipe les travaux visionnaires de ces créateurs que l’histoire de l’art a rangés sous l’étiquette d’« art brut ».
Puis sont évoqués les « sommeils hypnotiques » dont les séances de demi-sommeil ou de rêve éveillé, organisées par les surréalistes, permettaient, selon Jean Cocteau, « à notre nuit de se glisser en plein jour comme en fraude » (à propos du Testament d’0rphée, 1960). Plus contemporaines sont les œuvres où l’aspect hypnotique se situe du côté de la réception. Si les Préparations au sommeil de Nicolas Schöffer et la Dreamachine de Brion Gysin et William S. Burroughs sont de parfaites démonstrations du « dialogue » entretenu avec l’inconscient, l’animation induite par le cinétisme, la cybernétique et le psychédélisme, « la fascination du regard et les troubles de la perception », appartiennent-ils au même registre ?
Suivent des artistes, à l’exemple de Matt Mullican ou des sœurs jumelles Jane et Louise Wilson qui, en mettant à nu leur psychisme, offrent au spectateur des performances frôlant dangereusement avec une séance de psychodrame. Si les travaux réunis ici relèvent souvent autant du document que de l’œuvre d’art, le véritable plaisir visuel est réservé à l’installation immersive du plasticien américain Tony Oursler. Située à la chapelle de l’Oratoire, elle mêle, selon les commissaires, « des références visuelles à l’histoire de l’hypnotisme et à diverses angoisses contemporaines liées aux technologies numériques, du smartphone au big data ». Malgré la virtuosité technique d’Oursler, ce déluge optique impressionnant convoque ses « figures de style » habituelles, l’hypnose n’étant qu’un prétexte. Le musée nous offre un voyage captivant dans ce continent inconnu dont les limites avec le chimérique, l’inconscient ou l’imaginaire sont difficiles à tracer. Pour l’hypnose comme pour la religion, faut-il croire pour voir ?
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°557 du 11 décembre 2020, avec le titre suivant : « Hypnose » à pratiquer en toute conscience au musée