Le Musée national de l’histoire de l’immigration raconte opportunément l’histoire des frontières et de ceux qui les franchissent.
PARIS - Il n’est pas aisé de traiter d’une histoire en train de s’écrire. C’est le défi auquel a été confronté le Musée national de l’histoire de l’immigration. Initiée il y a deux ans et demi, l’exposition « Frontières » a ouvert ses portes le 10 novembre, trois jours avant les attentats de Paris, et en pleine crise des réfugiés. Depuis le début de l’année, quelque 650 000 migrants ont rejoint le territoire de l’Union européenne en franchissant la Méditerranée. C’est peut-être l’accélération de l’histoire qui rend, aujourd’hui, cette exposition consacrée à ces « barrières infranchissables et à ceux qui les franchissent » un peu trop mesurée, un peu trop politiquement correcte.
Placée sous le commissariat de la sociologue et géopolitologue Catherine Wihtol de Wenden et de l’historien Yvan Gastaud, l’exposition éclaire le rôle, mais aussi les enjeux des frontières et des phénomènes migratoires contemporains. Elle est organisée en trois parties. La première s’intéresse aux murs-frontières dans le monde. La deuxième porte sur l’histoire mouvementée des frontières en Europe au cours des XXe et XXIe siècle, et la troisième explore les frontières terrestres et maritimes de la France. Quelque 250 objets, photographies, cartes géographiques, œuvres d’art, vidéos, coupures de presse, témoignages de migrants et œuvres littéraires accompagnent le parcours du visiteur. « Frontières » s’ouvre sur une vidéo de Bruno Boudjelal réalisée à partir de films de téléphones portables utilisés par des migrants. Elle évoque les Harragas, ces hommes qui quittent le Maghreb et brûlent leurs papiers avant d’entreprendre une traversée hautement périlleuse sur des embarcations de fortune pour tenter de rejoindre l’Europe.
De plus en plus de contrôles
Partout les frontières se ferment. Vingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin, on recense plus d’une cinquantaine de murs s’étendant sur plus de 20 000 km. Les turbulences du XXIe siècle et la surenchère sécuritaire ont conduit à l’érection de nouvelles barrières de sécurité comme celle qui a été élevée entre l’Inde et le Bengladesh depuis 2007. Ou le « mur Bush » séparant les États-Unis du Mexique pour lutter contre l’immigration clandestine. Migrar de Jose-Manuel Mateo et Javier Martinez Pedro évoque, à l’encre noire sur une écorce de ficus bouillie, tressée et battue, le parcours chaotique et folklorique d’un jeune mexicain qui tente de rejoindre le pays de la Bannière étoilée.
« Jusqu’au XIXe siècle, il était plus facile d’entrer dans un pays que de sortir du sien parce que celui-ci maintenait derrière ses frontières ses serfs et ses sujets, parfois sa main-d’œuvre coloniale, ses contribuables, ses futurs soldats », explique Catherine Whintol de Wenden sur un panneau placé à l’entrée de la section dédiée aux frontières de l’Europe. Des cartes pédagogiques éclairent le propos, mais aussi quelques œuvres comme ce dessin de presse de Sajtinac publié dans le Zeit montrant une Europe forteresse dressée dans un ciel rougeoyant, comme embrasé ; une Europe des accords de Schengen hérissée de canons dirigés vers « l’envahisseur » ; des photographies documentent des opérations de surveillance menées par l’agence Frontex, évoquant de façon allusive la militarisation de la lutte contre les migrations.
D’autres photographies montrent des formes dissimulées dans des filets de pêcheurs tunisiens remontés sur une plage (Laétitia Tura, « Disparitions »). Les corps de quelques-uns de ces 10 000 hommes et femmes disparus depuis 1998 en traversant la Méditerranée. Sur un mode humoristique, le photographe Thomas Mailaender s’est lui intéressé aux « voitures cathédrales ». À ces véhicules chargés d’un amoncellement de bagages et objets divers, embarquées sur les bateaux de la SNCM au départ de Marseille en direction des pays du Maghreb.
La France, pays traversé
La dernière partie de l’exposition évoque les frontières de la France. Ses douanes et postes frontières et leur histoire comme celui d’Hendaye où se pressaient les Portugais et les Espagnols ou de Vintimille par lesquels transitaient les Italiens. La France pays d’immigration est aussi un pays de transit. Un pays de passage pour ces réfugiés ou migrants, Afghans ou Irakiens notamment, qui n’ont d’yeux que pour le Royaume-Uni. Si « l’hétérogénéité de l’enfermement » des étrangers est évoquée, quid des camps de rétention administrative français où se trouvent enfermés des milliers d’étrangers ?
Commissaires de l’exposition : Catherine Wihtol de Wenden, sociologue et géopolitoloque (CERI/Sciences-Po) et Yvan Gastaut, Historien (Université de Nice)
Nombre de pièces : 250
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Frontières et migrants
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 29 mai, Musée de l’histoire de l’immigration, Palais de la porte dorée, 293, avenue Daumesnil, 75012 Paris, www.histoire-immigration.fr
Légende Photo :
Gaël Turine, Inde province du Bengal-Occidental, Hili 29 mai 2013. Un groupe de Bangladaises passé illégalement en Inde pour acheter des marchandises indiennes, courent au pied du mur frontière. © Photo : Gaël Turine/Agence Vu.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°448 du 8 janvier 2016, avec le titre suivant : Frontières et migrants