Société

À New York, une école d’art reconstitue les visages de migrants décédés

NEW YORK / ETATS-UNIS

La New York Academy of Art expose des sculptures réalisées à partir de crânes de migrants décédés à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.

Etudiants du programme médico-légal de la New York Academy of Art qui reconstitue les visages de migrants décédés à la frontière mexicaine.
Etudiants du programme médico-légal de la New York Academy of Art qui reconstitue les visages de migrants décédés à la frontière mexicaine.
Photo Emily J. Mullins
Courtesy New York Academy of Art

New York. Dans le grand atelier de sculpture de la New York Academy of Art, l’humanité est mise à nu. Littéralement. Des crânes, des tendons, des muscles, des corps en chair, des planches d’anatomie… Ici, chacun des 110 étudiants de l’école d’art nichée dans le Lower Manhattan dépèce, écorche et recompose les corps pendant six mois pour apprendre l’anatomie humaine. Parmi ces sculptures autopsiées, quinze visages de glaise se démarquent des autres. Des hommes et des femmes de tous âges, certains joufflus, d’autres plus anguleux. Ces visages exposés pendant le mois de mars ont appartenu à quinze personnes aujourd’hui décédées, dont huit migrants morts à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.

En 2017, 412 migrants ont succombé à la traversée périlleuse entre les deux pays, selon une enquête de l’ONU. John Volks, directeur de la formation continue à la New York Academy of Art, est à l’origine du programme de reconstruction médico-légale. « L’été dernier, je lisais un article dans le New York Times sur tous ces gens qui meurent dans les déserts d’Arizona, du Texas ou du Mexique en traversant la frontière, raconte-t-il de sa voix posée. Je me suis dit que ça devait être très dur pour ces familles qui voient l’un des leurs partir pour construire une vie meilleure et qui n’ont plus jamais de nouvelles, qui ne savent pas ce qui a pu lui arriver. J’ai donc pensé que ça serait l’opportunité pour nos étudiants d’aider à identifier ces personnes décédées. »

Chaque année depuis 2015, l’école propose un atelier d’une semaine aux étudiants volontaires pour aider le bureau du médecin légiste de New York à reconstituer des visages, à partir de squelettes retrouvés dont l’ADN n’est pas enregistrée.

« Un exercice de peinture à numéros »

« Ils ne peuvent pas nous donner les crânes originaux car ce sont des pièces à conviction dans le cadre des enquêtes pour homicides. Le médecin légiste scanne donc les crânes et les duplique grâce à une imprimante 3D », précise John Volks. Cette année, les huit crânes de migrants ont été choisis parmi les nombreux dossiers de Pima County en Arizona. Comment procède-t-on pour retrouver un visage ? Chaque crâne a une identité, explique Joe Mullins, l’artiste expert en imagerie médico-légale qui dirige la classe. « Il faut suivre le crâne et écouter ce qu’il dit du visage qui lui correspond », professe-t-il. Les étudiants placent d’abord les muscles, puis des marqueurs pour identifier la profondeur des tissus. Ils construisent ensuite la peau et ajoutent pour finir les yeux (tous marron) et les cheveux. « Il faut contenir toute liberté artistique. Cette classe est un peu comme un exercice de peinture à numéros : il faut suivre les indications pour obtenir une image. C’est un cours pour sculpter le bon visage dans l’espoir qu’il soit reconnu », insiste l’expert. Ces sculptures, une nouvelle génération du portrait-robot, sont ensuite photographiées et publiées sur le site officiel des personnes disparues aux États-Unis, « NamUs.gov ». Jusqu’à présent, seul l’un de ces visages a été reconnu en 2015, par un cousin de la victime. John Volks jette un regard sur les bustes. « Nous sommes le dernier recours pour identifier ces personnes. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°497 du 16 mars 2018, avec le titre suivant : À New York, une école d’art reconstitue les visages de migrants décédés

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