PARIS
Une double exposition sur les deux sites des Archives nationales examine les images des procès pour crime contre l’humanité et leur rôle dans la construction des récits historiques.
Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), Paris. En France, le premier procès filmé fut celui du nazi Klaus Barbie en 1987, grâce à la loi que fit voter le garde des Sceaux Robert Badinter en 1985. Mais la référence internationale en la matière reste le procès de Nuremberg (1945-1946), incontournable. De Nuremberg au génocide des Tutsi (Rwanda), l’exposition des Archives nationales présente huit procès filmés, dont six en France. Le directeur, Bruno Ricard, rappelle que ces archives permettent de « combler par l’image » ce qui manque aux documents écrits retraçant les procédures : les intonations, les gestes des avocats et accusés, soit « un matériau sensible ».
À Pierrefitte-sur-Seine, l’exposition s’attache à huit procès pour crime contre l’humanité, par ordre chronologique depuis le procès de Nuremberg. Mis à part deux procès liés au génocide des Tutsi au Rwanda (2014, Paris ; 2016, Bobigny) et un procès contre des complices de la dictature chilienne (2010), les archives concernent la Seconde Guerre mondiale : Nuremberg, Adolf Eichmann (jugé en 1961 à Jérusalem), Klaus Barbie (1987, Lyon), Paul Touvier (1994, Versailles), Maurice Papon (1997-1998, Bordeaux). Seul le procès des quatorze Chiliens est retransmis en intégralité, quand plusieurs centaines d’heures d’archives audiovisuelles ont été condensées pour les autres sous la forme de vidéos de vingt minutes qui tournent en boucle. S’y dévoilent les rituels d’un procès, les espaces des tribunaux souvent exigus, les attitudes des avocats et des accusés… En somme un théâtre, avec ses acteurs incontournables et ses récits en construction : car ces procès visent à réécrire l’histoire d’un événement traumatique, contre la volonté des accusés. Ainsi Eichmann apparaît-il à l’écran entouré de dossiers de plus en plus épais à mesure que son procès avance, et le réalisateur choisit de s’attarder sur cette accumulation. Le criminel nazi élabore en coulisse « un contre-récit de la politique antijuive du IIIe Reich » selon les commissaires de l’exposition, Christian Delage et Martine Sin Blima-Barru. L’ancien haut fonctionnaire de Vichy Maurice Papon tenta également lors de son procès de contre-argumenter avec une certaine énergie.
À l’inverse, certains procès butent sur l’absence de l’accusé : ainsi Klaus Barbie décide-t-il rapidement de ne plus assister aux audiences de son procès, qui se déroule donc face à un box vide. La caméra enregistre chaque jour l’énoncé du nom de l’accusé absent, jusqu’au coup de théâtre du dix-huitième jour où Barbie se présente. Plus spectaculaire encore, le procès des Chiliens accusés d’avoir séquestré et torturé des Franco-Chiliens en 1973. Aucun des accusés n’assiste au procès (certains sont décédés entre-temps) : le film montre l’appel de leurs noms par le président, puis celui des éventuels avocats de la défense, mais tous sont absents. C’est donc « une scène judiciaire vide de tout accusé » qui s’affiche à l’écran, et les témoins s’expriment sans contradictoire, ce qui réduit les mouvements de caméra.
La deuxième partie de l’exposition, sur le site parisien des Archives, présente des documentaires sur les contraintes techniques auxquelles étaient soumis les réalisateurs, et rappelle l’importance de filmer ces procès « garants des valeurs démocratiques ».
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°573 du 17 septembre 2021, avec le titre suivant : Filmer les grands procès de l’histoire