À la fin de la Seconde Guerre mondiale, des cinéastes américains sont envoyés par les alliés pour filmer les camps de concentration.
PARIS - En avril 1945, John Ford, Samuel Fuller et George Stevens, cinéastes d’Hollywood commandités par l’armée américaine, filmaient, pour l’Histoire, la libération de camps de concentration nazis. Au Mémorial de la Shoah à Paris, l’exposition « Filmer les camps, de Hollywood à Nuremberg » dévoile un montage d’archives, souvent inédites, qui retrace les conditions de réalisation de leurs documentaires. Après guerre, leurs fictions emprunteront à cette expérience choc. L’idée de la preuve historique par l’image est ici documentée sans contre-exemples.
Sur un air gai, Fred Astaire et Ginger Rogers virevoltent à l’écran. Avec cet extrait incongru de Swing Time, l’exposition s’ouvre sur des discordances : avant de filmer Dachau à la tête de la Special Coverage Unit (créée par le service de communication de l’armée américaine), George Stevens réalisait des comédies musicales. En plans serrés suivent les aveux des trois retraités. « Je suis un lâche », déclare John Ford, « oscarisé » notamment pour Les Raisins de la colère.
En 1939, il a créé, sur ordre des services secrets américains, la Field Photographic Branch, le cinéma des armées américaines. « Je mens dans mes films pour que le public ne quitte pas la salle », clame Samuel Fuller, journaliste (spécialiste des affaires criminelles) puis scénariste, qui a tourné son premier film de guerre dans le camp tchèque de Falkenau.
Pour filmer l’horreur, le système hollywoodien, mis au service des valeurs patriotiques par Roosevelt dès 1939, a supplanté les reporters : « Pour l’armée américaine, ces cinéastes avaient le talent de rendre de la manière la plus forte ce qu’ils avaient vu », argue le commissaire de l’exposition, Christian Delage. Un manuel, inédit, de la Field Photographic Branch, réglemente les prises de vue devant « rapporter des preuves des crimes de guerre » incontestables. « Pour garder la trace de ce geste », selon Delage, l’exposition suit l’ordre du tournage : les cadavres, les atrocités, la vie quotidienne, les survivants et la célébration.
Des rapports de tournage authentifient des scènes poignantes, sans en dissiper les ambiguïtés. Ainsi, aucun cartel ne stipule que l’entrée des libérateurs à Dachau a été reconstituée en forçant les vivats des détenus, alors que des photos témoignent du lynchage, censuré, de gardes nazis. Révélant les archives secrètes de Fuller et Stevens, l’exposition aboutit au procès de Nuremberg où le documentaire sur les camps, supervisé par Ford, confronte les accusés à leurs crimes.
Le rôle assigné à l’image est-il probant ? Une mise en regard avec Shoah (1985), qui tire sa force de témoignages oraux sur la solution finale qu’on ne peut « ni reconstituer, ni illustrer, ni filmer » selon son réalisateur Claude Lanzmann, mais aussi avec les scènes manipulées de Nuit et brouillard (1956), du charnier roumain de Timisoara (1989), ou des guerres du Golfe l’aurait réfuté.
FILMER LES CAMPS, DE HOLLYWOOD À NUREMBERG, jusqu’au 31 août, Mémorial de la Shoah, 17, rue Geoffroy-L’Asnier, 75004 Paris, tél. 01 42 77 44 72, www.memorialdelashoah.org, tlj sauf samedi 10h-18h, jeudi 10h-22h
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Des films comme preuves ?
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Abonnez-vous dès 1 €Commissaire : Christian Delage, historien, maître de conférence à l’université Paris-VIII et à l’EHESS
Œuvres : documents d’archives, films, photographies, inédits
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°325 du 14 mai 2010, avec le titre suivant : Des films comme preuves ?