Marginal, classiciste, hardi… Le Grand Palais célèbre Félix Vallotton, le plus français des peintres suisses, avec une réjouissante rétrospective organisée par le Musée d’Orsay. Les célèbres bois gravés de l’artiste, réalisés lors de sa période nabie, sont l’arbre qui cachent la forêt d’un œuvre brillant par sa cohérence et son inventivité.
Paris - Félix Vallotton (1865-1925) n’est pas un inconnu du grand public français. Ses images féroces de la vie de couple, issues de la série « Intimités » (1898), font régulièrement leur apparition dans des expositions sur les Nabis, la gravure, ou encore l’illustration de presse. La rétrospective que lui consacre le Grand Palais tient cependant de la révélation d’un œuvre bien plus vaste qu’il n’y paraît.
Grand cas a été fait de sa marginalité, renforcée par le sobriquet de « Nabi étranger » dont le groupe mené par Paul Sérusier l’avait affublé. Vallotton était sans conteste un artiste à part à l’époque où les avant-gardes foisonnaient – c’était à qui courrait le plus vite. La somptueuse galerie de portraits et de nus rassemblés dans la première séquence de l’exposition en atteste : Vallotton aspire à renouveler le genre, à inventer le classicisme de son temps. Si la ligne empruntée à Ingres et à Holbein est ferme, les couleurs mates et l’atmosphère muette, l’esprit est moderne. Les commissaires décrivent de façon très juste Vallotton comme un artiste ayant échappé à l’académisme et à l’impressionnisme, le courant dominant de l’avant-garde lorsqu’il arrive encore adolescent à Paris pour intégrer l’Académie Julian. Ce qui ne l’empêche pas, à maintes reprises et tout au long de sa carrière, de réinterpréter les contrées et les thèmes chers aux impressionnistes – les paysages de l’Eure, la plage d’Étretat, Honfleur, le jardin public à Paris, le couple dans une loge de théâtre ou attablé au café… Même ses Pêcheurs à la ligne (1901) reprennent, avec son personnage accoudé sur le parapet qui lorgne vers les quais de la Seine, la construction oblique des toiles de Gustave Caillebotte, dans lesquelles des bourgeois parisiens observent depuis leur balcon haussmannien l’activité grouillante des boulevards en contrebas.
Importance du bois gravé
Comme pour tromper l’ennui d’un déploiement chronologique, l’enthousiasmant parcours de l’exposition met en évidence, à travers une dizaine de thèmes, le caractère éminemment cohérent et homogène de l’œuvre de Vallotton. Chez le Lausannois monté à Paris pour se consacrer à la grande peinture, la xylogravure et l’illustration de revues engagées – qui lui vaudront ses premiers succès et son intégration dans le groupe Nabi – pourraient faire figure de parenthèses commerciales. Or ces détours par le bois gravé dans les années 1890 apparaissent aujourd’hui comme la clé de voûte de son art – et permettent même de comprendre ses grandes machines mythologiques tardives, qui en laissent plus d’un perplexe ! Ces petits formats d’un noir et blanc tranchant fournissent en effet un concentré des différents thèmes abordés par l’exposition : la ligne épurée, les perspectives aplaties, l’érotisme latent, le cadrage photographique, le silence pesant de la sphère domestique, l’ironie cinglante, la misogynie…
Car si le jeune anarchiste s’est embourgeoisé en épousant la fille du marchand d’art Bernheim en 1899, son retour amorcé à partir de 1900 vers le classicisme de ses débuts est marqué par l’irrévérence et l’économie de moyens de la xylogravure. Cependant les corps dénudés ont gagné en plasticité. La courbe des hanches et des épaules rondes de ses nus, comme les découpes arrondies des différents éléments de ses paysages, font écho aux arabesques très présentes dans les bois gravés. Et quel plaisir de retrouver son humour et son sens aigu de l’instantané, aussi efficace dans la gravure La Manifestation (1893) que dans la toile Satyre enlevant une femme au galop (1910) !
Cette rétrospective est enfin l’occasion d’apprécier l’immense talent de coloriste de Vallotton. Les Poivrons rouges (1915) révèlent par ailleurs un souci du détail digne de l’école hollandaise du XVIIe siècle qu’il admirait tant. Dans cette section dévolue à « L’opulence de la matière », les commissaires se sont même fait plaisir en rapprochant une superbe paire de fesses (1884) d’un généreux jambon (1918). Une juxtaposition hilarante de deux natures « mortes » que Vallotton n’aurait pas reniée.
Commissaires : Isabelle Cahn, conservatrice au Musée d’Orsay ; Guy Cogeval, président des musées d’Orsay et de l’Orangerie ; Marina Ducrey et Katia Poletti, conservatrices à la Fondation Félix Vallotton, Lausanne
jusqu’au 20 janvier 2014, Grand Palais, entrée Clemenceau, place Clemenceau, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, www.grandpalais.fr. Jusqu’au 18 octobre, tlj sauf mardi 10h-20h, jusqu’à 22h le mercredi ; du 19 octobre au 2 novembre, tlj sauf mardi 10h-22h ; du 21 décembre au 4 janvier, tlj sauf mardi 9h-22h ; fermé le 25 décembre. Catalogue, coéd. RMN-Grand Palais/Musée d’Orsay, 288 p., 45 €.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Félix Vallotton en version intégrale
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Félix Vallotton, Le Ballon, 1899, huile sur carton marouflé sur bois, 48 x 61 cm, musée d’Orsay, Paris. © Photo : RMN (musée d'Orsay)/Hervé Lewandowski
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°399 du 18 octobre 2013, avec le titre suivant : Félix Vallotton en version intégrale