Le film accompagnant sa rétrospective au Grand Palais brosse avec efficacité le portrait de Félix Vallotton.
Si Félix Vallotton (1865-1925) a connu le succès et la reconnaissance de son vivant, cela n’a plus été le cas après sa mort. La rétrospective organisée prochainement au Grand Palais vient heureusement remédier à cette injustice [nous y reviendrons dans le prochain numéro].
Artiste protéiforme, il fut à la fois peintre, graveur – aspects sous lesquels on le connaît surtout –, mais aussi critique d’art et auteur de romans et pièces de théâtre.
Pour raconter Vallotton, la réalisatrice s’appuie sur les éléments chers à l’artiste, à commencer par l’eau, récurrente dans le roman La Vie meurtrière rédigé en 1907-1908 par Vallotton (lequel, enfant, a pourtant manqué de se noyer). La trame narrative du documentaire, qui comporte des extraits de ce récit hautement autobiographique, s’articule ainsi autour de nombreux plans illustrant une mer d’huile. S’y ajoute une savante sélection d’images d’archives de l’époque, faisant écho aux ambiances et sujets caractérisant l’univers du peintre.
« Celui qui […] voit vivre »
Vallotton, de tempérament plutôt solitaire, aux antipodes de la séduction, avait, bien qu’habité de doutes, une force de conviction, et était exigeant avec lui-même. Il adoptait une posture en retrait, à distance, par timidité et pour observer le monde : « J’aurai de toute ma vie été celui, qui, de derrière une vitre, voit vivre et ne vit pas. »
Une distance qu’il conjugue à son audace, dans ses articles publiés dans la Gazette de Lausanne, où il encourage Toulouse-Lautrec et souligne la nouveauté du Douanier Rousseau (à une période où les deux peintres étaient plutôt décriés). Mais aussi dans ses gravures au trait mordant, dans lesquelles il traite de l’intime. Il capte les ambiances en noir et blanc des intérieurs bourgeois, ainsi que les relations de couple dans un style incisif, synthétique, graphique et contrasté, où il joue à merveille des parts d’ombre et de lumière, le détail émanant des blancs. Sans oublier cette causticité qui lui est propre, comme en atteste notamment sa gravure relatant un assassinat au couteau dans un lit. Un style que La Revue blanche, à laquelle il collabore, appréciera, au point qu’il devienne le graveur le plus prisé pour ses scènes de rue, ses émeutes, l’affaire Dreyfus, et les portraits de Zola, Mallarmé, Dostoïevski, Ibsen ou Nietzsche.
Vallotton graveur, donc, mais aussi peintre. Un peintre affranchi, au trait résolument moderne et avant-gardiste, qui fit partie des Nabis (1888-1900) aux côtés de Bonnard, Vuillard, Sérusier, Denis. Sa légendaire distance lui vaudra le surnom de « Nabi étranger ».
Coloriste hors pair, Vallotton maîtrise sans pareil les lumières comme les ambiances feutrées de chambres, salles de bains et salons, dans des teintes de bleus, rouges et orangés aux tons sourds et néanmoins éclatants. Deux aspects qui auraient gagné à être particulièrement relevés et décortiqués dans ce film par ailleurs bien documenté. « Félix Vallotton : la vie à distance » met en exergue le trait moderne, les aplats de couleurs, les formes sans relief, et « force » l’œil du spectateur à s’arrêter sur les merveilleuses natures mortes qui composent les tableaux du peintre. À cet effet, la caméra se promène dans les tableaux pour en souligner les détails, la force et la maîtrise. Travaillés avec soin, les reflets et effets de transparence y sont admirables, le détail des poissons, remarquable.
À travers ce documentaire d’une construction fluide, Juliette Cazanave replace Félix Vallotton dans sa juste lumière.
Félix Vallotton : la vie à distance, réal. Juliette Cazanave, 2013, 52 min, diffusé sur Arte le 6 octobre à 16 h 50 ; sortie en DVD (coéd. Arte/Réunion des musées nationaux) le 5 novembre, 19,90 €.
Diffusé (jours et horaires variables) dans l’auditorium du Grand Palais dans le cadre de l’exposition « Félix Vallotton : le feu sous la glace », du 2 octobre 2013 au 20 janvier 2014..
Signalons aussi en cette rentrée littéraire la publication de deux romans dans lesquels il est question de Vallotton : Vallotton est inadmissible, de Maryline Desbiolles (éd. Le Seuil) et Le soleil ni la mort : sur Vallotton, de Colette Nys-Mazure (éd. Invenit).
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Félix Vallotton : la vie à distance
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°397 du 20 septembre 2013, avec le titre suivant : Félix Vallotton : la vie à distance