VALENCE
Le Musée de Valence propose de revisiter ses collections à la faveur d’un parcours mêlant plus de deux cents œuvres de l’un des fondateurs de la Figuration libre.
Valence.« Cette exposition, ce n’est pas moi qui l’ai conçue, contrairement à celle que j’avais faite à la Maison rouge à Paris en 2016. Sinon, j’aurais mis beaucoup trop de pièces. Mais j’ai quand même réalisé des œuvres pour l’occasion », indique d’emblée Hervé Di Rosa (né en 1957, à Sète) en découvrant, satisfait, la sélection et le parcours proposés au Musée de Valence. C’est Philippe Bouchet, commissaire choisi par l’artiste, qui a mis sur pied ce troisième volet du cycle « All-over », après le premier, en 2018, consacré au duo d’artistes suisses Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger, et le second, à Philippe Favier l’année dernière, et qui sera peut-être le dernier. En effet, ce format d’exposition avait été expérimenté par Pascale Soleil, la conservatrice et directrice du musée depuis 2015, jusqu’à son décès en novembre dernier. Et nul ne sait si la personne qui lui succédera, non encore nommée, continuera l’initiative.
Pour Philippe Bouchet, la tâche était d’autant plus délicate que le principe de ce cycle qui consiste à investir l’ensemble des espaces du musée et à se glisser ici ou là dans ses collections pour dialoguer avec elles, est périlleux : présenter trop d’œuvres et c’est l’invasion ; en mettre trop peu et c’est la noyade. En outre, cette fois, à l’aspect encyclopédique des collections (des beaux-arts à l’archéologie en passant par l’histoire naturelle, le cabinet de curiosités, la numismatique, etc.) s’ajoutent la grande diversité et le foisonnement de l’œuvre de Di Rosa. Ce dernier joue avec tous les matériaux (acrylique sur toile, sculpture, dessin au feutre ou au crayon…), avec tous les savoir-faire des artisans et artistes qu’il est allé rencontrer lors de son tour du monde démarré au début des années 1990, et donc avec toutes les techniques : de la laque à la céramique, du bois au bronze (travaillé à Foumban au Cameroun), du pigment sur peau de zébu à l’azulejos (dont il a appris la technique à Lisbonne où il vit une grande partie de l’année).
Le parcours commence par une suite de huit vitrines dans le « couloir des curiosités ». On y découvre, alignés comme un avant-goût et un résumé du lexique de Di Rosa : huit œuvres caractéristiques des nombreux matériaux qu’il utilise, aussi bien la sculpture perlée que la céramique, le crochet, le lingot d’or, la résine, le bois, la peinture… Une façon de présenter l’exposition par la matière et d’en donner son épine dorsale. À quelques pas de cet ensemble, un autoportrait de 1998 en céramique (tête et buste) se veut une parfaite métaphore : « Cette exposition est un voyage dans ma tête », précise l’artiste. Elle est d’ailleurs intitulée « Di Rosa. Ses sources, ses démons » en clin d’œil à la contre-culture, la culture populaire, les arts modestes (à l’exemple du Musée des arts modestes que l’artiste a créé à Sète, il y a vingt ans) mais également la musique, la bande dessinée, des médiums dont il s’est toujours nourri.
Dans les trente-cinq salles qui composent le cheminement très – trop – labyrinthique du musée sont ainsi confrontés des têtes en bois flottés et en galets de l’artiste, ainsi que quelques-uns de ses robots, à des objets du néolithique. Ailleurs, sur le plateau d’art contemporain, deux de ses « Paysages en céramique » voisinent avec des tableaux de Vincent Bioulès, Simon Hantaï ou Pierre Buraglio issus de la collection du musée. Plus loin, pour un choc garanti, le « René d’or » en résine est installé dans la salle des papiers peints à côté d’une nymphe endormie en marbre blanc de Louis-Pierre Deseine (1749-1822). Dans la salle dite du « Pavillon du Roi », est d’ailleurs accroché le dessin de tous les « René », une centaine au total, qui constituent une sorte d’alphabet du « peuple des René », ce personnage emblématique de l’univers de Di Rosa. Dans une autre salle, une immense toile de 5,20 mètres de long sur 1,20 mètre de haut, Anatomie grotesque (l’éveil du printemps) est accrochée tout près d’une vanité du XVIIe siècle de Cornélis Norbertus Gysbrechts. Pour la salle consacrée à Hubert Robert (dont le musée possède la deuxième plus grande collection après celle du Louvre), Di Rosa a même spécialement réalisé une douzaine de magnifiques sanguines qui rappellent ses grandes qualités de dessinateur.
En plus de toutes ces confrontations fécondes, l’exposition – qui n’est pas une rétrospective – dessine en pointillé et en filigrane, de salle en salle et d’œuvre en œuvre (plus de deux cents au total) le suivi de quarante années de travail, dans ses multiples aspects. Et regardé sous cet autre angle, l’ensemble tient très bien la distance – à l’exemple des splendides toiles du début des années 1980, à l’époque du mouvement de la Figuration libre dont Di Rosa fut l’un des créateurs et piliers avec notamment Robert Combas, François Boisrond, René Blanchard. Un ensemble qui témoigne d’une très belle qualité et d’une grande cohérence.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°588 du 29 avril 2022, avec le titre suivant : Di Rosa, rosam, rosae, rosis, une déclinaison au pluriel