GENTILLY
Comment le regard d’André Kertész pense-t-il lorsqu’il photographie ? La question peut paraître présomptueuse, surtout quand elle ne s’accompagne pas de verbatim du photographe ou d’entretien laissant entendre son avis sur le sujet.
Tel est pourtant l’exercice auquel l’historien de la photographie Cédric de Veigy se prête à partir de recherches inédites menées sur les négatifs originaux du photographe conservés à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine. L’angle d’approche est pointu, la période investie réduite aux années 1930-1936 et le résultat une jolie balade visuelle légère, tendre, voire drôle, construite à partir d’une succession ou regroupement d’images d’un même sujet. Rien de spectaculaire dans tout cela. On ne verra aucune photographie légendaire mais des bribes de scènes parisiennes, de saisons, de rendez-vous au café où l’on voit le regard de Kertész qui cherche l’angle, la distance ou le cadre les plus justes. Le reflet des passants place de la Concorde, un jour de pluie de 1935, ou la circulation des voitures forment un bel ensemble graphique autour duquel Kertész tourne. La rue du Cotentin qui file juste au pied de son appartement offre d’autres scènes de vie qu’il capte au fil des ans en plongée. Se succèdent ainsi une longue file d’habits noirs suivant un corbillard mené par des chevaux, un enfant jouant à la trompette, un mendiant, quelques rares voitures croisant des groupes de chevaux. L’œil se plaît à capter l’ordinaire, le banal ou le cocasse. Deux ou trois images successives suffisent pour faire le portrait de Germaine Krull ou de Brassaï au café ou encore d’Élisabeth, son épouse, blottie dans les draps du lit. Le Leica lui donne la souplesse qu’il désire et Paris, et ses faubourgs mille et une attractions visuelles. Une ville qui n’est plus se raconte en quelques menus détails que l’on saisit à son tour : les enfants jouent alors dans la rue ; sous le viaduc de Meudon que traverse un train à vapeur, un chantier se déploie ; sur un pas de porte, un chat et un chien s’amusent… Les pérégrinations de Kertész embrassent large. On le suit allègrement.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°730 du 1 janvier 2020, avec le titre suivant : Dans l’œil de Kertész