METZ
Metz réunit 130 artistes influencés par les compositions étranges du peintre maniériste, souvent au-delà de la question du visage.
Metz (Moselle). Le paysage fragmenté, extrêmement riche et déroutant à la fois, qui accueille le spectateur pénétrant dans l’imposante salle située au rez-de-chaussée du Centre Pompidou-Metz, est, peut-on dire, à la mesure des « têtes composées » réalisées par Giuseppe Arcimboldo (1527-1593).
Mais qui est cet artiste, célèbre au XVIe siècle, puis peu considéré pendant longtemps voire oublié, avant d’être « redécouvert » par les surréalistes ? En même temps qu’elle obtient la reconnaissance par l’histoire de l’art contemporaine, sa production picturale a le privilège, ambigu, de devenir immensément populaire. Le public se presse au Kunsthistorisches Museum de Vienne où trônent plusieurs de ses tableaux, tandis que les nombreuses reproductions de ses œuvres, au premier rang desquelles Les Quatre Saisons, en font un lieu commun artistique. Populaire, Arcimboldo l’était déjà quand il fut appelé par Ferdinand Ier à la cour des Habsbourg à Prague. Nommé comme portraitiste, il y est également le metteur en scène de festivités, jeux et costumes, ou encore le « scénographe » du cabinet de curiosités, à la mode à cette époque. Ce représentant du style maniériste, courant qui traverse et bouleverse l’Europe après la Renaissance, allie un goût pour le bizarre à la tradition de la caricature de Léonard de Vinci. Arcimboldo se spécialise dans des caprices picturaux où la juxtaposition d’objets, fleurs, fruits et végétaux recompose des figures humaines ou des allégories.
Selon Chiara Parisi, directrice du lieu et commissaire de l’exposition avec Anne Horvath, chargée de recherche, la manifestation se situe dans la lignée de « L’effet Arcimboldo », conçue à Venise en 1987 par le premier directeur du Centre Pompidou, Pontus Hultén. On y trouvait, comme ici, le spectaculaire Bibliothécaire (vers 1566), au visage fortement géométrisé, fabriqué par une superposition de livres ouverts et fermés. Cependant, Hultén mettait l’accent sur l’atomisation et l’éclatement du visage – rappelons le sous-titre de l’époque, « Les transformations du visage au XVIe siècle et au XXe siècle ». La mise en regard du Bibliothécaire avec les portraits cubistes de Picasso permettait à la fois d’établir une filiation à travers l’histoire et de montrer toute l’audace d’Arcimboldo.
À Metz, même si on croise de nombreux visages, dans les œuvres de Cindy Sherman, Heide Hatry (Pierre Huyghe ou Man Ray, l’ambition est plus vaste. Il s’agit ainsi, selon les commissaires dans le catalogue, « de décloisonner, de décentrer le regard, pour démontrer la complexité d’Arcimboldo […], l’exposition est un moyen de disposer non seulement des images mais aussi et surtout des idées », Le spectateur a droit à des œuvres spectaculaires, certaines réalisées pour l’occasion, telle l’installation monumentale d’Annette Messager intitulée Le Désir attrapé par le masque (2021) et située à l’entrée.
Dans une structure volontairement labyrinthique, formée par des cloisons en béton qui traversent l’espace, le parcours est tout sauf linéaire. Les rapprochements sont parfois explicites, comme dans cet hommage de Chéri Samba (Stupéfaction, 2009) face à une œuvre de l’artiste maniériste, ou de l’ordre de l’évocation, avec cet Écureuil (1969) de Meret Oppenheim. Certes, un projet qui veut « exploser les cadres » et qui « introduit le multiple, le divers, l’hybridité de tout montage » (G. Didi-Huberman, Atlas ou le gai savoir inquiet, Les Éditions de Minuit, 2011) ne peut éviter des glissements ou des absences. Ainsi, la bestialité exprimée par Head VI (1949) de Francis Bacon semble bien éloignée des têtes d’Arcimboldo. D’un autre côté, si les cadavres exquis surréalistes ou les montages dadaïstes (La Poupée, Hans Bellmer, 1935-1936) sont parfaitement à leur place, manquent des papiers collés, qui inaugurent véritablement l’ère de la discontinuité. Papiers collés, quand l’artiste ne joue plus au magicien et que l’image éclatée ne cherche plus à reconstituer l’unité de la représentation du monde.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°571 du 9 juillet 2021, avec le titre suivant : Dans la tête d’Arcimboldo