Art ancien

Redécouverte

L’homme derrière le masque

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 4 octobre 2007 - 688 mots

Le Musée du Luxembourg, à Paris, propose la première exposition monographique de Giuseppe Arcimboldo, peintre milanais au service des Habsbourg.

PARIS - La popularité des portraits composites de Giuseppe Arcimboldo (1526-1593) est inversement proportionnelle à sa reconnaissance institutionnelle. Si le Palazzo Grassi, à Venise, a examiné en 1987 sa postérité, le Musée du Luxembourg, à Paris, offre bel et bien la première rétrospective consacrée à ce peintre milanais attaché à la cour des Habsbourg vingt-cinq ans durant.
Le défaut de vision d’ensemble dont souffrait l’œuvre d’Arcimboldo est peut-être dû au caractère exceptionnel de ses tableaux composites. Tombé dans l’oubli après sa mort, l’artiste est redécouvert par les surréalistes. Ces derniers s’approprient la dimension ludique de ses assemblages d’éléments végétaux, animaux ou inertes qui donnent naissance à des visages grotesques. Mais André Breton et ses comparses ont, malgré eux, perpétué la méconnaissance de son œuvre en le réduisant à ces compositions, aussi brillantes soient-elles. Il a fallu attendre 1965 pour assister à la réattribution à Arcimboldo de portraits de la famille des Habsbourg appartenant au Kunsthistorisches Museum de Vienne.

Satires antiques
L’exposition du Musée du Luxembourg apporte un éclairage scientifique de l’œuvre tout en resituant le peintre dans son contexte. La Dormition de la Vierge Marie, imposant ouvrage en laine et soie réalisé pour la cathédrale de Côme (Italie) en 1561-1562, témoigne de sa jeunesse milanaise comme cartonnier pour tapisserie, ou encore dessinateur de vitraux et de fresques. Ses débuts à Vienne en 1562, où il fut appelé à la cour de l’empereur Ferdinand Ier par son fils, le roi Maximilien II, voient sa maniera se plier aux exigences germaniques. Sylvia Ferino-Pagden, commissaire de l’exposition et conservatrice pour la peinture de la Renaissance italienne au Kunsthistorisches Museum, relève néanmoins une certaine liberté de pinceau dans cet ensemble de portraits des filles de l’empereur Ferdinand Ier. Jusqu’en 1587, alors qu’il revient à Milan pour la fin de ses jours, Arcimboldo tient les divers rôles de portraitiste de cour, d’illustrateur de sciences naturelles, de décorateur du palais, de concepteur artistique des fêtes et des parades, d’expert et d’acheteur de précieux objets d’art et de merveilles de la nature pour la collection de l’empereur… Toutes ces activités sont illustrées dans un parcours à l’éclairage soigné qui se subdivise entre tableaux et objets fantasques évoquant le cabinet de curiosités de Maximilien II. Nombreuses, les œuvres auraient mérité un lieu d’exposition plus adapté.
L’empereur, littéralement fasciné par les étrangetés de la nature, était en outre un collectionneur assoiffé. Ainsi, « les créations composites d’Arcimboldo seraient nées du rapport étroit entre l’artiste de culture humaniste et le souverain », avance Sylvia Ferino-Pagden (1). Qu’il s’agisse des séries des Quatre Saisons ou des Quatre Éléments, Arcimboldo est un architecte virtuose jouant sur la curiosité pour la variété des mondes minéral, végétal et animal. Si ces portraits appartiennent à la lignée des dessins grotesques de Léonard de Vinci – révéré à l’époque –, comme des satires remontant à l’Antiquité, une interrogation demeure sur leur origine. S’agit-il de commandes conformes à l’idéal esthétique de Maximilien II, ou sont-ils le produit de l’imagination seule du peintre ? Comment doivent-ils être interprétés ? La personnalité du peintre transparaît-elle ? La commissaire, pour qui Arcimboldo était un « artiste savant, rusé, attentif à défendre ses propres intérêts », balaie l’idée reçue selon laquelle ces portraits seraient le fruit de crises de délire. S’entourant de poètes pour ancrer la dimension lyrique de ses œuvres – ainsi le très beau Flore (1591) –, Arcimboldo a su perfectionner son art au bénéfice de la cour des Habsbourg. Impérial, le dieu des Saisons Vertumne (1590) représenterait en fait Rodolphe II. Le peintre y a abandonné la rigidité du profil pour une vue de face, plus expressive. Derrière ses paupières de pois gourmands, Vertumne semble nous regarder.

(1) Signalons la piètre qualité des traductions des textes rédigés en allemand dans le catalogue de l’exposition.

ARCIMBOLDO (1526-1593)

Jusqu’au 13 janvier 2008, Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, 75006 Paris, tél. 01 45 44 12 90, www.museeduluxembourg.fr, lun-ven-sam 10h30-22h ; mar-mer-jeu 10h30-19h ; dim 9h-19h. Catalogue, coéd. sVo/Skira, 320 p., 38 euros, ISBN 978-88-6130-469-3. Et aussi, Arcimboldo, hors-série « Découvertes Gallimard », 8,40 euros ; Arcimboldo, le banquet littéraire, livre et CD, sVo Art, 17 euros.

ARCIMBOLDO

- Commissaire : Sylvia Ferino-Pagden, Kunsthistorisches Museum, Vienne - Nombre d’œuvres : 147 - Nombre de salles : 5 - Scénographie : Frédéric Lebard

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°265 du 21 septembre 2007, avec le titre suivant : L’homme derrière le masque

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